Des archéologues travaillant sur le site Moche de Pañamarca, sur la côte nord du Pérou, ont découvert une étonnante salle de trône à piliers dont les innombrables peintures murales, et surtout le trône lui-même, laissent penser qu'une femme y aurait régné au 7e siècle de notre ère.
Un pilier de la "salle de l'Imaginaire Moche" sur lequel apparaîtrait une femme de pouvoir entourée de créatures marines.
En juillet 2024, une équipe d’archéologues péruviens et américains fouillant le site Moche de Pañamarca, dans la vallée de Nepeña, sur la côte nord du Pérou, a fait une découverte déroutante : une salle du trône à piliers dont l’ornementation et le trône de pierre lui-même leur laissent penser qu’elle pourrait avoir été le siège du pouvoir d’une souveraine, et non d’un souverain, il y a plus de 1300 ans.
Les Moche, culture précolombienne qui s’est étendue le long de la côte nord du Pérou entre 350 et 800 de notre ère, est connue pour ses riches tombes d'élites, son architecture et ses œuvres luxuriantes, ainsi que pour ses artefacts et son imagerie religieuse élaborés.
Pañamarca était l’un de ses centres les plus méridionaux, dont il reste aujourd’hui plusieurs structures en gradins et autres bâtiments. Le site est particulièrement connu pour ses peintures murales, décrites pour la première fois dans les années 1950. Très colorées, elles dépeignent pour la plupart des prêtres et des guerriers en procession, des batailles épiques ou encore des scènes d'activités cérémonielles.
Pouvoir et créatures marines
Mais celles observées dans l’énigmatique salle du trône seraient, elles, sans équivalent dans la culture Moche, ni même dans tout l’ancien Pérou. "Pañamarca continue de nous surprendre", a commenté Lisa Trever, professeur d'histoire de l'art à l'université de Columbia et membre de l’équipe de fouille, dans un communiqué. "Non seulement en raison de l'incessante créativité de ses peintres, mais aussi parce que leurs œuvres bouleversent nos attentes quant aux rôles des hommes et des femmes dans l'ancien monde Moche."
Deux archéologues à l'oeuvre dans la Salle de l'Imaginaire Moche. Crédits : Lisa Trever
Dans la salle du trône, dite aussi "salle de l’Imaginaire Moche" (sala del Imaginario Moche), quatre scènes différentes montrent une femme puissante associée à la lune et à la mer. Elle apparaît notamment entrelacée de créatures marines ou encore sur un trône, recevant des visiteurs en procession. Une autre scène, presque unique en son genre dans le monde précolombien, dépeint un atelier entier de femmes en train de filer et de tisser, suivie d’une procession d’hommes portant des textiles et la couronne affublée de tresses de la dirigeante. Il est en revanche encore impossible à ce stade de savoir s'il s'agit d'une reine, d'une prêtresse ou d'une déesse.
Les archéologues ont par ailleurs identifié sur le trône de pierre encore présent dans la salle les traces d’une forte usure (particulièrement sur son dossier), mais aussi des cheveux humains, montrant clairement qu'il était occupé par une personne vivante. "Tout indique qu'il s'agissait d'une femme dirigeante de Pañamarca au 7e siècle", assurent les chercheurs.
La Dame de Cao, une autre femme de pouvoir Moche
Ce n'est néanmoins pas la première fois que les archéologues se retrouvent face à une femme de pouvoir dans la culture Moche. En 2006, dans la vallée de Chicama, berceau de cette culture préhispanique, une momie de femme tatouée entouré de sceptres de bois recouverts de cuivre, symboles du pouvoir et de l'hégémonie, avait été découverte dans une tombe.
Surnommée la Dame de Cao, la défunte avait bouleversé les hypothèses jusque-là admises en prouvant que les femmes pouvaient jouer un rôle politique majeur dans les civilisations précolombiennes. Par la suite, une reconstitution de son visage et de sa tenue vestimentaire avaient été effectuées.
Une figure anthropomorphe aux traits d'araignée portant une coupe, peinte sur un pilier de la salle de l'Imaginaire Moche. Crédits : Lisa Trever
Les chercheurs ont par ailleurs découvert une pièce voisine qu'ils ont appelée la "salle des Serpents Tressés" (sala de las Serpientes Trenzasas) en raison d'une peinture murale représentant un personnage aux jambes entrelacées de serpents, un motif qui n'avait jamais été mis au jour auparavant.
La pièce comporte d'autres peintures murales représentant des guerriers, des armes anthropomorphisées et un monstre poursuivant un homme. "Nous découvrons une iconographie inédite dans le monde préhispanique", a fait savoir auprès de Reuters José Antonio Ochatoma Cabrera, archéologue dans l'équipe.

Deux restaurateurs traitant l'un des piliers de la salle des Serpents Tressés. Crédits : Rick Wicker
En raison de leur fragilité, les peintures murales de Pañamarca ne sont actuellement pas visibles du public. "Si elles étaient laissées à l'air libre sans programme de conservation permanent sur place, ces précieuses peintures commenceraient à se détériorer immédiatement, comme cela s'est produit dans les années 1950. C'est pourquoi, à la fin de chacune de nos campagnes scientifiques, et conformément aux réglementations et recommandations du ministère de la Culture, nous recouvrons les fouilles afin d'assurer la conservation à long terme de cet important patrimoine culturel", explique José Antonio Ochatoma Cabrera.