Plus de 160 ans après sa mort, le Clotilde va-t-il enfin dévoiler ses secrets ? C’est ce qu’espère la Commission historique de l’Alabama. Début mai, elle a dépêché une équipe de Resolve Marine pour effectuer une inspection de dix jours de l’épave du navire reposant dans la rivière Mobile, près de Twelvemile Island, au sud de l’Alabama.
Il faut dire que le Clotilde n’est pas un bateau comme les autres. Il est considéré comme le dernier négrier à avoir accosté aux États-Unis. C’était en 1860, à une époque où l’importation d’esclaves était pourtant devenue interdite suite à la loi votée en 1808. Mais Timothy Meaher, un riche armateur et propriétaire terrien avait décidé de l’ignorer.
Il avait parié mille dollars avec des hommes d’affaires qu’il pourrait amarrer un navire négrier sous le nez d’officiers fédéraux à Mobile Bay. C’est ainsi que le Clotildeune goélette qui transportait autrefois du bois et d’autres matériaux, s’est transformée en navire négrier sous le commandement de son capitaine, William Foster.
Le navire arrive en mai 1860 sur les côtes du royaume du Dahomey, dans l’actuel Bénin. Il repart quelques jours plus tard avec 110 esclaves, hommes, femmes et enfants à bord. Les captifs sont arrivés aux États-Unis trois mois plus tard, après plusieurs manœuvres destinées à dissimuler les activités illégales du bateau.
Une fois sa tâche macabre accomplie, le capitaine Foster, qui risquait la peine de mort pour avoir transporté des esclaves, décida d’effacer toute trace du voyage, en mettant le feu et en coulant le Clotilde dans l’un des estuaires près de Mobile. Depuis, plusieurs tentatives avaient été faites pour retrouver la goélette de 26 mètres de long. En vain.
Jusqu’à ce que les fouilles se concentrent sur une zone de la rivière qui n’avait jamais été ratissée auparavant en 2019. Les observations ont révélé un véritable cimetière d’épaves, dont l’une semblait avoir des caractéristiques similaires à celles du Clotilde. Des explorations supplémentaires ont confirmé son identité.
Évaluer l’état de conservation du navire
Au cours des deux années suivantes, les autorités ont mené des opérations pour évaluer le site et déterminer une ligne de conduite. Si le bateau repose à faible profondeur, les conditions n’y sont pas idéales : la visibilité est très mauvaise, il y a du courant et de nombreux fragments sont là, compliquant l’exploration.
Néanmoins, les fouilles ont permis de remonter de petites parties de la goélette et de constater que cette dernière était en grande partie intacte, selon l’Associated Press, y compris l’enceinte ayant servi à emprisonner les esclaves. En décembre dernier, la Commission historique de l’Alabama a signé un contrat avec Resolve Marine.
Objectif : réaliser une étude complète de l’épave afin d’évaluer son état et de la stabiliser. « Veiller à ce que la Clotilda soit valorisée et préservée est une tâche énorme», a expliqué dans un communiqué Aaron Jozsef, chef de projet chez Resolve Marine. Le coup d’envoi de la première mission d’exploration a été donné le 2 mai.
Au cours des jours suivants, l’équipe a travaillé au remontage de tous les éléments en bois et autres pièces détachées de la goélette. Elle s’est également intéressée aux bactéries et organismes marins vivant sur le site, comme les vers et les crabes, ainsi qu’aux sédiments présents sur et à proximité du navire.
« L’objectif principal de cet examen est d’évaluer l’état de conservation du bateau afin que nous puissions élaborer un plan de conservation basé sur des données scientifiques.», précise la Commission historique de l’Alabama dans le rapport de mission. Les observations ont révélé des bois très dégradés en surface de la coque mais mieux conservés en profondeur.
De plus, des spécialistes ont trouvé des artefacts « qui témoignent de l’incendie qui a été allumé pour dissimuler le crime», indique la commission. L’inventaire comprend notamment des morceaux de bois calcinés et ce qui semble être un mélange de charbon et de boue à l’intérieur de la coque. Une fois analysés et scannés, les fragments ont été soigneusement replacés dans la chaussée.
Une quête pour retrouver notre histoire
Après cette première série d’explorations, le projet s’étalera sur plusieurs années dans l’espoir d’approfondir la connaissance du navire, du site mais aussi de délivrer de nouvelles informations sur la Clotilde et son dernier voyage. Ainsi que l’histoire des 110 personnes qui étaient à bord et qui ont survécu, ne pouvant jamais retourner sur leurs terres d’origine.
« Ce n’était pas seulement une quête pour trouver un navire. C’était une quête pour retrouver notre histoire, une quête d’identité et une quête de justice.», témoignait en 2019, lors de la découverte de l’épave, Paul Gardullo, co-directeur du Slave Wrecks Project (SWP) initié par le National Museum of African American History and Culture de la Smithsonian Institution.
« C’est une façon de rétablir la vérité sur une histoire trop souvent occultée. Africatown est une communauté économiquement battue et il y a des raisons à cela« , il ajouta. La communauté d’Africatown a en effet été fondée par une trentaine d’esclaves du Clotilde que Timothy Meaher avait gardé pour travailler dans sa plantation.
Au XXe siècle, cette société s’agrandit progressivement pour atteindre un pic de population de 12 000 habitants. Aujourd’hui, de nombreux descendants de ces captifs vivent encore dans la région. C’est le cas de Lorna Gail Woods, 70 ans : « l’émotion et la joie sont immenses», confiait en 2019 au Smithsonienl’arrière-arrière-petite-fille d’un des esclaves.
« Il y a tellement de gens qui pensaient que cela ne s’était pas produit parce qu’il n’y avait aucune preuve. Avec la découverte de ce navire, nous avons la preuve dont nous avions besoin pour dire qu’ils étaient sur ce bateau et que leurs esprits sont toujours là.« , elle a continué.
Une nouveau survivant identifié
L’un des derniers survivants connus de ce navire négrier, Cudjo Lewis vécut jusqu’en 1935 et raconta son histoire à l’écrivain Zora Neale Hurston qui en fit un manuscrit, Barracon. Mais il n’est sorti qu’à titre posthume en 2018. En 2020, cependant, une historienne britannique a annoncé qu’elle avait trouvé un autre survivant.
Décédé en 1935, Cudjo Lewis fut l’un des derniers esclaves survivants du voyage de la Clotilda en 1860. © Emma Langdon Roche, Esquisses historiques du Sud
Selon ses recherches publiées dans la revue Esclavage et abolitionMatilda McCrear avait deux ans lorsqu’elle a été capturée avec sa mère Grace, sa sœur Sallie et deux autres sœurs et transportée au Clotilde. Les trois premiers auraient été achetés à leur arrivée par le propriétaire d’esclaves Memorable Walker Creagh. Matilda McCrear est
Interrogé par Newscastle University, son petit-fils, Johnny Crear, a confié qu’il n’avait aucune idée que sa grand-mère, décédée en Alabama en 1940 à l’âge de 82 ans, était sur le Clotilde. Selon les spécialistes, la découverte de l’épave éclaire ainsi l’histoire méconnue de ces esclaves et souligne à quel point l’esclavage est resté omniprésent jusqu’à la guerre civile.
« Une des choses si importantes [au sujet de cette découverte] c’est que cela montre que la traite des esclaves a duré plus longtemps que la plupart ne le pensent »confirmé en 2019 Lonnie Bunch, historienne et ancienne directrice du National Museum of African American History and Culture situé à Washington DC