Une équipe d’archéologues chinois ont recréé de l'alcool distillé à partir d'une réplique d'un alambic en bronze vieux de 2000 ans. Découvert dans la tombe d’un empereur, cet alambic révèle des secrets sur les techniques de distillation en Chine, bien antérieures aux archives historiques.
Les découvertes archéologiques permettent souvent de réviser des certitudes historiques. Une équipe de chercheurs affiliée à l’université de Zhengzhou en Chine a récemment démontré que la distillation d’alcool était maîtrisée dès la dynastie Han de l’Ouest, il y a plus de 2000 ans, bien avant les premiers témoignages écrits datant de la dynastie Yuan. En recréant un alambic en bronze trouvé dans la tombe de Liu He, ancien empereur déchu de la dynastie Han de l'Ouest (202 av. J.-C. - 9 apr. J.-C.), ces scientifiques ont reproduit un processus ancien en utilisant des matériaux tels que le taro.
Cette étude remet en question la chronologie établie des techniques de distillation en Chine et souligne le rôle de l’archéologie expérimentale pour comprendre les avancées technologiques des sociétés antiques. Ces travaux révèlent également l’importance des pratiques agricoles et culturelles dans l’élaboration des boissons spiritueuses.
Un trésor enfoui et une technologie avancée
En 2011, la découverte de la tombe de Liu He, ancien empereur de la dynastie Han de l’Ouest, a révélé un trésor historique exceptionnel dans la province de Jiangxi. Liu He, brièvement empereur en 74 av. J.-C., fut destitué après seulement 27 jours pour conduite jugée inappropriée par le régent Huo Guang. Exilé et relégué au titre de Marquis de Haihun, il vécut une vie plus modeste, bien que sa tombe, magnifiquement conservée, témoigne de son ancien statut impérial.
Cette sépulture a livré un éventail impressionnant d’artefacts, notamment 6 000 écailles d’armure en métal composite, des pièces d’or et de jade, ainsi que le plus ancien portrait connu de Confucius, offrant une fenêtre unique sur la vie et les pratiques de la Chine ancienne. En effet, Confucius était un philosophe chinois du VIe siècle av. J.-C., fondateur d’une pensée centrée sur l’éthique et les relations sociales. Sa doctrine, le confucianisme, influença profondément la culture, la politique et la moralité en Chine et en Asie.
Parmi les trésors de la tombe, un alambic en bronze a captivé les chercheurs par son design sophistiqué. Mais c’est surtout son rôle possible dans la production d’alcool distillé qui les a intéressés. Il reposait dans une chambre spécifiquement dédiée au stockage de boissons. Cet alambic se trouve constitué d’un pot principal, d’un cylindre et d’une chaudière. Il reflète une maîtrise technologique avancée pour son époque. Recréé à l'échelle 1:2 de l'original par l’équipe de Zhengzhou, il a démontré une efficacité remarquable de distillation. Il atteignait plus de 70% avec des matières premières telles que le vin jaune et la bière. Cette découverte souligne l’ingéniosité technique des anciens Chinois et leur capacité à intégrer innovation et tradition culturelle dans des pratiques quotidiennes.
La redécouverte d’un savoir ancestral
Jusqu’à récemment, la distillation d’alcool en Chine se voyait attribuée à la dynastie Yuan (1279-1368). Cela en raison des textes comme le Compendium of Materia Medica de Li Shizhen, un ouvrage médical du XVIe siècle. Cependant, les recherches menées sur l’alambic de Liu He bouleversent cette chronologie. En recréant minutieusement cet équipement antique et en simulant des processus de production, les chercheurs ont démontré que la distillation se trouvait maîtrisée dès la dynastie Han de l’Ouest (202 av. J.-C. - 9 apr. J.-C.). Ce recul d’un millénaire dans les origines de la distillation ouvre de nouvelles perspectives sur les compétences techniques et les traditions agricoles de cette époque. L’alambic, par ses caractéristiques techniques, témoigne d’une compréhension avancée des principes chimiques nécessaires à la séparation et à la concentration des liquides.
Des chercheurs fabriquent du vin distillé à partir de leur réplique. © Sina Weibo
Les chercheurs ont recréé avec précision le processus de fabrication. Ils utilisèrent des matériaux et des méthodes similaires à ceux de l’époque. L’ingrédient clé était le taro, identifié dans les résidus retrouvés dans l’alambic original. Il a joué un rôle central dans l’expérience. Cet aliment, riche en amidon, pouvait être fermenté pour produire une base alcoolique distillable. « Cette expérience ne se limite pas à reproduire un artefact », explique Zhang Zhongli, directeur du projet. « Elle réintroduit une pratique culturelle disparue, enrichissant notre compréhension de la vie et des rituels anciens ».
Débats sur l’usage de l’alambic
Depuis sa découverte dans la tombe de Liu He, l’alambic en bronze a suscité des interrogations sur son usage exact. Était-il utilisé pour produire de l’alcool, pour distiller des eaux florales ? L'utilisait-on pour purifier des substances comme le cinabre ? Il s'agissait d'un minéral utilisé dans la médecine et l’alchimie ancienne. Ces hypothèses ont été soigneusement examinées à travers l’analyse des résidus retrouvés dans l’alambic. « L’analyse des résidus montre clairement des traces d’amidon, provenant probablement du taro, un ingrédient clé dans la production d’alcool », rappelle Yao Zhihui, chercheur au centre de conservation de Zhengzhou. Les caractéristiques de conception incluant la structure en trois parties – un pot principal, un cylindre et une chaudière – sont également conformes à celles des équipements de distillation. Ces éléments ont permis aux chercheurs d’écarter l’hypothèse d’un usage alchimique ou cosmétique.
La réussite de ces essais, avec un rendement de distillation supérieur à 70 %, confirme l’excellence des anciens Chinois dans l’innovation technologique, tout en offrant un témoignage direct de leur usage des ressources naturelles dans des contextes pratiques et cérémoniels. Un réussite qui a conservé avec succès « la saveur et la concentration en alcool des spiritueux », précise Yao Zhihui, un des chercheurs.
Selon Wang Meng, archéologue impliqué dans le projet, « cet alambic est bien plus qu’un simple outil technique. Il reflète une compréhension sophistiquée des ressources naturelles et leur adaptation à des besoins culturels et pratiques ». Cette reconstitution souligne le lien étroit entre agriculture, rituels et innovations. Elle offre un aperçu unique sur les pratiques sociales et économiques de la dynastie Han.