Le développement des technologies d'archéologie sous-marine lors des dernières décennies a permis de mettre au jour les vestiges de civilisations côtières frappées par des catastrophes naturelles dévastatrices il y a plusieurs milliers d'années.
Désormais engloutie par les eaux, cette statue colossale accueillait autrefois les visiteurs du temple d'Amon-Géréb, érigé au 5e siècle avant notre ère dans le port de Thonis-Héracléion, sur le Nil. Selon les archéologues, la cité fut détruite au 2e siècle avant notre ère, à la suite d'une liquéfaction soudaine du sol. PHOTOGRAPHIE DE CHRISTOPH GERIGK. ©, FRANCK GODDIO, HILTI FOUNDATION
Bien qu’elles fassent l’objet de nombreux mythes et légendes, les cités perdues englouties par la mer existèrent bel et bien. Durant l’Antiquité, de nombreuses communautés côtières furent en effet touchées par de violentes catastrophes naturelles, provoquant la disparition sous les eaux de leurs rues, leurs maisons, leurs temples, ainsi que de l’histoire que ceux-ci renfermaient.
Pendant des millénaires, malgré les légendes dont ils faisaient l’objet, ces lieux submergés demeurèrent longtemps inaccessibles aux explorateurs. Dès le 20e siècle, les progrès de l’océanographie et des sciences marines ouvrirent cependant la voie à l’archéologie sous-marine, permettant ainsi aux chercheurs de cartographier ces sites et de commencer à collecter des artefacts et à faire resurgir l’histoire des cités disparues qu’ils abritaient autrefois.
Ce buste de Neîlos, dieu fleuve du Nil, date de 200 à 100 ans avant notre ère. Il fut retrouvé à Canope, en Égypte. PHOTOGRAPHIE DE CHRISTOPH GERIGK. ©, FRANCK GODDIO, HILTI FOUNDATION
Certaines des cités côtières les plus anciennes de l’histoire de l’humanité tombèrent sous l’effet de changements climatiques. En effet, à l’aide de données géomorphologiques, sédimentologiques et paléontologiques recueillies dans les fonds marins, des scientifiques ont établi que lors du dernier maximum glaciaire, il y a 30 000 à 20 000 ans, le niveau de la mer était inférieur d’environ 130 mètres à celui que nous connaissons aujourd’hui. À la fin de cette période, la fonte des calottes polaires provoqua une élévation brutale de ce dernier, et de nombreux peuplements préhistoriques construits le long des côtes furent inondés et abandonnés. Le projet Submerged Prehistoric Archaeology and Landscapes of the Continental Shelf a récemment recensé 2 600 sites submergés de ce type dans 19 pays, comme la grotte Cosquer à Marseille, célèbre pour ses peintures rupestres et dont l’entrée se situe à près de 40 mètres de profondeur.
SÉISMES, TSUNAMIS ET SUBSIDENCE
Notre planète est soumise à un processus continu de transformation géologique provoqué par un cycle naturel de destruction et régénération. Les plaques tectoniques se déplacent et provoquent des séismes, éruptions volcaniques, tsunamis et autres phénomènes sismiques qui peuvent à leur tour entraîner le tremblement, l’effritement, la liquéfaction, voire l’engloutissement de la terre ferme par les eaux.
À travers l’Histoire, ce processus géologique a emporté et submergé des cités côtières entières, et avec elles les infrastructures humaines qu’elles abritaient. Par le passé, les populations cherchaient des explications religieuses à ces catastrophes, y voyant souvent une forme de punition divine. De l’Épopée de Gilgamesh à l’arche de Noé, les récits épiques de nombreuses civilisations mettent ainsi en scène de grandes inondations déclenchées par une divinité puissante. Aujourd’hui, nous nous tournons plutôt vers la science pour trouver des explications à ces événements naturels qui provoquèrent la disparition tragique et définitive de ces civilisations.
L’activité sismique est à l’origine de la disparition de nombreuses zones côtières et cités à travers le monde. En 373 avant notre ère, un violent séisme suivi d’un tsunami dévastateur provoquèrent ainsi la destruction de la cité-État grecque d’Hélikè. Plus de sept siècles plus tard, en 365 de notre ère, un autre séisme, considéré comme le plus grand séisme jamais enregistré dans le bassin méditerranéen, frappa la Crète avec une magnitude estimée à 8,3 et engendra de nombreux tsunamis dans toute la région, dévastant des cités portuaires comme Alexandrie, en Égypte, et Apollonie, dans l’actuelle Libye.
La subsidence, c’est-à-dire l’affaissement progressif de la surface de la croûte terrestre sous l’effet d’une activité sismique ou volcanique continue au fil du temps, est cependant plus courante que ces épisodes spectaculaires de tremblements. Ce phénomène permet à la mer d’avancer vers l’intérieur des terres et d’engloutir tous les bâtiments ou peuplements sur son passage.
Ces processus naturels affectèrent de nombreuses populations côtières tout au long de l’Histoire, entraînant parfois leur disparition totale ou partielle sous les eaux. Les ruines étant immergées, les études archéologiques approfondies ne purent réellement commencer qu’au siècle dernier. Ces sites engloutis sont aujourd’hui la cible de nombreux archéologues sous-marins qui, à l’aide de technologies de pointe, telles que le sonar, la robotique, le scanner 3D et les caméras sous-marines, peuvent désormais tenter d’en révéler les nombreux secrets.
Voici cinq des nombreuses cités englouties du monde antique dont les secrets commencent à être révélés grâce à l’archéologie.
Cette image améliorée numériquement montre le contour des bâtiments et des rues de la cité mycénienne de Pavlopetri. Deux rues principales parallèles ainsi qu'une autre plus courte et perpendiculaire sont visibles. PHOTOGRAPHIE DE BBC BROADCAST ARCHIVE, GETTY IMAGES
PAVLOPETRI, LA PLUS ANCIENNE DES CITÉS ENGLOUTIES
Le peuplement humain désormais connu sous le nom de Pavlopetri vit le jour au Néolithique, vers 3500 avant notre ère, dans le sud de la péninsule du Péloponnèse, et devint un important centre de commerce pour la civilisation mycénienne (1650-1180 avant notre ère). Cette région de la mer Égée est toutefois sujette à de nombreux tremblements de terre et aux tsunamis qui, au fil du temps, provoquèrent l’engloutissement progressif de la cité. Les bâtiments les plus proches de la côte furent frappés par des tempêtes maritimes et des tsunamis, et la lente montée du niveau de la Méditerranée finit par achever de la submerger il y a plus de 3 000 ans.
Pendant des millénaires, les vestiges de Pavlopetri demeurèrent cachés sous près de 4 mètres d’eau, recouverts d’une épaisse couche de sable, au large de la Laconie. Au cours des dernières décennies, les modifications des courants et le changement climatique entraînèrent cependant l'érosion de la barrière naturelle qui protégeait le site. C'est ainsi qu'en 1967, alors que des scientifiques recueillaient des données afin d’analyser les variations du niveau de la mer autour de la côte du Péloponnèse, l’océanographe britannique Nicholas Flemming repéra pour la toute première fois les structures submergées de la cité. Un an plus tard, accompagné de quelques étudiants, le chercheur retourna sur les lieux pour examiner et cartographier le site, et l’équipe parvint à identifier une quinzaine de bâtiments, des cours, un réseau de rues et deux tombes à chambre. Malgré ces premières découvertes passionnantes, il fallut toutefois attendre plusieurs décennies avant que des archéologues ne reviennent sur le site.
Découvertes en 1967 par l'océanographe britannique Nicholas Flemming, les ruines de Pavlopetri se trouvent au large de la Laconie, dans le sud de la Grèce. Ses structures immergées présentent des fondations en pierre qui résistèrent pendant des milliers d'années sous la mer. PHOTOGRAPHIE DE NIKOS PAVLAKIS, ALAMY, ACI
En 2009, les archéologues Chrysanthi Gallou et Jon Henderson reprirent les fouilles de Pavlopetri en collaboration avec le ministère grec de la Culture. Grâce aux énormes progrès réalisés depuis les années 1960 dans les techniques et outils relatifs à l’archéologie sous-marine, l’équipe pouvait désormais avoir recours à des instruments robotiques, à la cartographie par sonar et à des graphiques de pointe pour étudier le site. De 2009 à 2013, elle dévoila ainsi la cité sous-marine disparue. Les trois routes principales de Pavlopetri, qui s’étendent sur environ 1 hectare, relient entre eux une cinquantaine de bâtiments rectangulaires, tous dotés d’une cour ouverte. Les fouilles révélèrent également un grand nombre de poids de métiers à tisser de style minoen, ce qui suggère que Pavlopetri était un centre de commerce prospère doté d’une solide industrie textile.
PHANAGORIA, LA CITÉ PERDUE SOUS LA MER NOIRE
Cette statuette en bronze du 2e siècle de notre ère, mise au jour à Phanagoria, représente une divinité identifiée comme une combinaison des dieux grecs Zeus et Asclépios. PHOTOGRAPHIE DE OLEG DERIPASKA VOLNOE DELO FOUNDATION
Vers 540 avant notre ère, des Ioniens fuyant l’Empire perse fondèrent une cité sur les rives de la mer Noire, dans la péninsule de Taman, près de l’actuelle ville russe de Krasnodar. Appelée Phanagoria, du nom de l’un des colons, la cité devint riche et prospère grâce au développement progressif du commerce maritime. Au 4e siècle avant notre ère, elle fut rattachée au royaume du Bosphore, un État gréco-scythien qui régnait sur une grande partie du territoire environnant. Phanagoria gagna en prestige et devint la capitale orientale du royaume. La région passa ensuite sous le contrôle des Romains, mais la ville continua de prospérer.
Au cours du 1er millénaire de notre ère, la chance de Phanagoria commença toutefois à tourner. Une importante activité sismique et des éruptions volcaniques provoquèrent l’affaiblissement et l’enfoncement du fond marin et des terres situées sous la ville elle-même. Une partie de la cité fut alors inondée par les eaux de la mer Noire. Ce qui en resta fut ensuite la cible d’invasions successives et son importance dans la région commença à s’estomper.
Les ruines de Phanagoria furent identifiées au 19e siècle, mais seules les zones situées sur la terre ferme pouvaient alors être explorées. Ce n’est que dans les années 1950 que les progrès de la technologie sous-marine permirent de confirmer que près de 25 hectares de la ville se trouvaient sous l’eau, attendant d'être explorés. Après cela, les découvertes de Phanagoria suivirent l’évolution de la technologie. En 2004, les vestiges d’une grande structure côtière, qui aurait été un phare ou une tour de guet, furent ainsi découverts et datés aux 3e et 4e siècles de notre ère. En 2012, les archéologues purent ensuite identifier une partie du port de la ville, et découvrirent également un petit navire de guerre encore en excellent état de conservation datant du 1er siècle avant notre ère.
THÔNIS-HÉRACLÉION ET CANOPE, LES PORTS ÉGYPTIENS DISPARUS
Deux des ports les plus importants de l’Égypte antique furent noyés par les eaux de la baie d’Aboukir il y a environ 1 200 ans. Selon les chercheurs, les cités de Thônis-Héracléion et Canope, situés dans le delta du Nil, furent victimes de la montée du niveau de la mer et d’une activité sismique chronique qui, à terme, entraîna la liquéfaction du sol.
Thônis-Héracléion comptait parmi les cités portuaires les plus importantes d’Égypte. Elle était une plaque tournante du commerce ainsi qu’une porte d’entrée pour les marchandises en provenance de toute la Méditerranée. En 2000, l’archéologue sous-marin Franck Goddio et l’Institut européen d’archéologie sous-marine localisèrent ses ruines, qui incluaient notamment le célèbre temple d’Amon Géréb, avec ses murs extérieurs et trois statues colossales. Plus de vingt années de recherches archéologiques permirent de révéler de nombreux secrets de la cité portuaire. Des canaux navigables, des temples mineurs, les vestiges de nombreux navires et des centaines d’ancres en pierre confirmèrent que Thônis-Héracléion était autrefois un centre de commerce très actif pour les marchands grecs.
Canope, quant à elle, était un centre spirituel important dans l’Égypte lagide et abritait le monumental temple dédié à Sérapis, une divinité syncrétique rassemblant les traits de différents dieux grecs et égyptiens. La cité attirait des pèlerins venant de tout le monde antique pour vénérer le temple. En 1933, le prince Omar Toussoun, érudit égyptien, mena la première étude archéologique du site grâce à des indications données par des pêcheurs et un aviateur anglais. En 1999, l’équipe de Goddio, qui sondait les eaux de la baie d’Aboukir, localisa le site et put ainsi confirmer qu’il s’agissait bel et bien de la cité perdue de Canope.
ÉPIDAURE ET LES VILLAS ROMAINES ENGLOUTIES
Connue dans le monde entier pour son magnifique théâtre, la cité grecque d’Épidaure était l’un des plus importants ports commerciaux de la péninsule d’Argolide. À l’époque romaine, plusieurs villas maritimes furent construites le long de la côte afin de profiter de ses terres fertiles et de l’accès facile à la mer. Situées à proximité des cités, ces propriétés étaient consacrées à l’agriculture et à la production de vin, d’huile et de garum, une sauce de poisson très prisée des Romains. Leurs habitants travaillaient dur, mais disposaient en retour d’un espace domestique confortable, voire luxueux, comprenant des bains et des lieux de réception et de loisirs. Au 5e siècle de notre ère, soit un peu plus d’un siècle après sa construction, l’une de ces villas fut inondée par les eaux de la baie d’Agios Vlasios à la suite d’une activité sismique supérieure à la normale et d’une élévation générale du niveau de la mer. En 1967, l’océanographe Nicholas Flemming documenta plusieurs structures englouties dans la baie d’Agios Vlasios, et en 1971, l’archéologue Charalambos B. Kritzas identifia ce que les habitants de la région qualifiaient de cité submergée, qui s’avéra être les vestiges d’une villa romaine côtière.
Situés à seulement 50 mètres de la côte et à seulement 2 mètres de profondeur, ceux-ci se composent de trois espaces distincts. L’un d’eux était une grande réserve contenant des morceaux d’une vingtaine de dolia, d’énormes jarres en argile qui servaient à stocker, et parfois à faire fermenter de grandes quantités de vin. Un autre espace semble avoir abrité un pressoir, et un troisième pourrait avoir été dédié aux bains.
Les ruines d'une villa romaine gisent sous les eaux près d'Épidaure. PHOTOGRAPHIE DE SHUTTERSTOCK