Le Temple de la Littérature a été édifié en 1070, et est devenu la première université nationale en 1076, sous la dynastie des Ly (1010-1225). Huu Ngoc nous fait y revenir, à l’époque des années 1990, pour découvrir ses secrets.
Le Temple de la Littérature, une destination touristique attrayante de Hanoï. Photo : VNA
Depuis une dizaine d’années, le prestige du Temple de la Littérature à Hanoï en tant que haut lieu de mémoire culturelle a rebondi. Dans tous les programmes de visite officielle des délégations étrangères, on ne manque jamais d’inscrire un petit tour éclair à cet endroit. Les touristes qui ont du temps à perdre s’attardent à l’ombre de ses banians, manguiers et frangipaniers séculaires pour fuir la canicule et le bruit harassant des Hondas, ou pour méditer auprès des grues de bronze et des dragons de pierre du XVe siècle.
Van Miêu, la première université nationale
Est-il vrai, comme le pense plus d’un visiteur étranger, que le Van Miêu (Temple de la Littérature) qui abritait dans ses murs le Quôc Tu Giám (Collège des Enfants de la Nation), notre première université, est le symbole unique, l’épitomé de la culture traditionnelle du Vietnam ? Un tel jugement me semble un peu hâtif et exige une petite mise au point.
Si importante que soit la signification du Van Miêu dans le patrimoine spirituel vietnamien, il ne représente qu’un volet de notre culture, celui de la culture savante fortement teintée par l’influence chinoise qui la rattache au versant de l’Asie orientale(1).
Le Temple de la Littérature a été édifié en 1070. Photo : VNA
Rappelons que le substrat de notre identité nationale est la culture des Viêt née dans le bassin du fleuve Rouge à l’âge du bronze (Ier millénaire AC), alors que l’Empire chinois n’existait pas encore. Ce versant Sud-Est asiatique a été longtemps presque ignoré par certains chercheurs occidentaux(2), subjugués par l’éclat de la Chine et de l’Inde. C’est pourquoi, aux yeux des non-avertis, la culture vietnamienne a longtemps passé pour être un simple appendice de la culture chinoise. Le propre de la culture vietnamienne est de n’assimiler les éléments d’une culture étrangère qu’après les avoir fait siens. À travers l’histoire, c’est la conscience et la préservation de l’héritage culturel qui constituent la clé de la résistance contre l’agression étrangère.
Stèles des Docteurs, un trésor national
Le Temple de la Littérature résume à merveille l’acculturation qui résulte du mariage de notre ancienne culture Viêt avec la culture chinoise, mariage forcé pendant plus de mille ans de domination chinoise (189 AC-938). Ensuite, il y a eu une adoption volontaire et assidue de la culture chinoise pendant la longue période des dynasties royales indépendantes (938 - première moitié du XIXe siècle), et c’est ainsi qu’au fil des siècles, se sont greffés sur le fonds originel Viêt du Sud-Est asiatique les apports importants de l’Empire céleste, tant sur le plan matériel (agriculture, technique, métiers) que sur le plan moral et spirituel (coutumes, rites, confucianisme, bouddhisme, taoïsme).
Les stèles en pierre du Temple de la Littérature ont une grande valeur, tant historique que culturelle. Photo : VNA
L’enseignement de Confucius auquel est dédié le Temple de la Littérature a marqué profondément la vie sociale du Vietnam comme celle des autres pays de l’Asie orientale. L’architecture du Temple, lignes droites, angles droits, symétrie, harmonie, nous fait penser au classicisme cartésien de Versailles. Elle exprime une philosophie fondée sur la raison, qui inspire une société patriarcale fortement hiérarchisée. Car le confucianisme est une éthique plutôt qu’une religion, éthique au service du père de famille et du souverain au sommet de la pyramide. Les échelons intermédiaires sont assurés par des mandarins recrutés par voie de concours.
Dans le Van Miêu, la troisième cour renferme 82 stèles en pierre enregistrant les noms de plus de 1.000 Docteurs ès humanités, en grande majorité devenus mandarins, reçus à 124 concours s’échelonnant sur trois siècles (1442-1779). Sous l’ancien régime, les lettrés mandarins, imbus de confucianisme, ont contribué à édifier un royaume vietnamien solide et prospère. Mais dans la deuxième moitié du XIXe siècle, face à l’offensive coloniale de l’Occident, beaucoup ont refusé les réformes qui s’imposaient et ils ont été la cause de la perte de l’indépendance nationale.
Ce conservatisme a fait qu’après la Révolution de 1945, pendant plusieurs décennies, les statues de Confucius et de quatre de ses proches disciples ont été bannies du sanctuaire du Temple de la Littérature.
Il y a une dizaine d’années, dans le sillage de la politique de Renouveau, elles ont été sorties du dépôt où elles méditaient avec les cancrelats. On rend justice au côté humaniste de la Doctrine du Maître tout en condamnant ses aspects négatifs.
Voilà grosso modo ce que dit le Temple de la Littérature. Ce qu’il ne dit pas, c’est l’importance du substrat culturel Sud-Est asiatique – la culture Viêt de l’âge du bronze – de la culture populaire dont nos villages sont souvent les dépositaires.