Les cultes et les croyances antiques constituent le fondement de la structure familiale traditionnelle du Vietnam et contribuent encore aujourd’hui à la perpétuer. Le cultes de ancêtres, particulièrement, est un facteur d’unicité, de cohésion sociale et familiale, chez un peuple qui a réussi à concilier des influences religieuses, philosophiques et politiques extrêmement diversifiées. Le culte des ancêtres permet aux vivants de s’inscrire dans la continuité de ceux qu’ils vénèrent et de marquer l’apparence au même clan: il est alors transmis de génération en génération, chacune devant le perpétuer.
A la différence des occidentaux qui font attention à la date de naissance, les Vietnamiens attachent beaucoup d’importance au jour de la mort dans le culte des ancêtres car c’est le jour où l’homme entre dans l’éternité.
Les Vietnamiens ne croient pas que les morts disparaissent, mais qu’ils hantent l’autel des ancêtres qui leur est dédié (oui, en gros, tout le monde croit aux fantômes). Cet autel est une table sur laquelle sont disposées les photos des morts de la famille. On y met aussi des brûle-encens, des chandeliers et de la décoration plus ou moins kitsch (faux fruits et fleurs, lampions…).
L’autel, coeur du foyer vietnamien.
L’autel occupe une place importante dans les habitations des vietnamiens. Il est le symbole de l’union et de la solidarité au sein de la famille. Régulièrement, il est situé dans la pièce centrale de la maison, il peut aussi être disposé au dernier étage de celle-ci. Il se compose d’une petite loge pour l’encens et d’une petite table pour mettre les offrandes, les photos des défunts ainsi que les tablettes de bois avec leurs noms inscrits. De grandes décisions sont prises devant ce reposoir, comme par exemple la décision d’un mariage, la construction d’une maison, etc.
L’autel des ancêtres est toujours placé dans la pièce centrale à l’endroit le plus respectable. D’après la conception vietnamienne, il n’y a pas de différence entre le monde où nous vivons (Yang) et le monde des morts (Yin): on présente donc à l’autel pour des ancêtres des choses parfaitement matérielles: nourritures, vêtements, objets usuels quotidiens et argent (ces derniers en papier, appelés Vang ma – objects votifs).
Seule la nourriture est réelle, et généralement accompagnée de fleurs, d’encents et d’alcool (facultatif) qui doit être de riz. Une chose ne doit pas faire défaut, c’est une tasse d’eau claire: c’est le bien plus précieux du riziculteur après la terre. Après la combustion des baguettes d’encens, on brûle le papier votif et verse la petite tasse d’alcool ou d’eau sur les braises. C’est ainsi que les morts reçoivent leurs présents dans l’au-delà. Les flammes et la fumée s’élèvent dans le ciel, l’alcool liquide se mélange au feu pour imprégner la terre: devant nos yeux, s’effectue une osmose feu-eau (Yin-Yang) et ciel-terre-eau (“Trois pouvoirs”) chargée de contenu philosophique.
Les pratiques du culte des ancêtres au sein des familles vietnamiennes
Au premier et au 15e jour du mois lunaire, les descendants brûlent de l’encens et disposent des offrandes sur l’autel pour vénérer les ancêtres. Les grandes fêtes de l’année lunaire: fête des tombeaux au 3e mois, fête Đoan Ngọ au 5e mois, fête des parents au 7e mois, fête de la Mi- Automne au 8e mois, fête du Têt (Nouvel An lunaire) etc., sont les occasions pour les familles d’organiser des festivités pour inviter leurs proches à venir commémorer les ancêtres et dans le même temps, de se rendre visite, d’échanger des nouvelles, de partager leurs joies et leurs peines.
Fête du Têt qui est une occasion spéciale de l’année, symbolise le renouvellement de la nature, le recommencement de toute chose, le chef de la famille puis tous les autres membres se prosternent et s’inclinent à plusieurs reprises devant l’autel et les photos des défunts, afin de souhaiter la bienvenu aux ancêtres et exprimer leur joie de les retrouver. Des offrances à leurs esprits sont déposés sur l’autel. De façon tout à fait naturelle et harmonieuse, le monde de morts et celui de leurs descendants sont ainsi réunis dans tous les foyer du Vietnam et de la diaspora.
Le plateau des repas pour le culte des ancêtres ou celui consommé par la population du Sud réunit une multitude de plats: bánh tét, thit kho tàu(viande de port cuite dans la saumure de poisson additionnée de sucre), nem, viande de porc laquée, pâté, saucisse à la chinoise, pousses de bambou cuite avec du jambonneau, margosier piquant farci de viande de porc, etc. Le bánh tét,le thit kho tàuet le margosier piquant farci de viande de porc étant des incontournables.

Un repas pour les ancêtres (image de l’internet)
Pour une grande partie des Vietnamiens, fêter l’anniversaire de la naissance n’est pas important (à part les jeunes qui suivent la tradition occidentale), par contre, ils accordent une grande importance à l’anniversaire de la mort de leurs proches.
En général, lors du décès d’un membre de la famille, on fait une cérémonie au 3e jour, puis une autre au 49e jour et une grande cérémonie au premier anniversaire de la mort de cette personne. Ensuite, la famille commémore l’anniversaire de la mort chaque année, invitant tous les parents à participer à la cérémonie puis au repas.
Les familles, si pauvres soient-elles, font l’effort de préparer un repas en offrande à leurs morts et d’inviter la parenté à prendre le repas avec la famille. L’absence de membres de la parenté à l’anniversaire de la mort engendre la tristesse à la famille, tout comme celle des invités extérieurs. La cause profonde du culte des ancêtres est que pour la plupart des Vietnamiens, la mort ne signifie pas la fin, le corps disparaît mais l’âme est éternelle et les vivants et les morts vivent en harmonie. Les Vietnamiens croient que leurs ancêtres sont présents dans leur vie quotidienne et qu’ils les soutiennent. Lors des événements importants pour la famille, son chef se prosterne devant l’autel des ancêtres à qui il expose le fait et les prie de le soutenir.
Dans la culture vietnamienne, le monde réel et invisible n’est jamais complètement séparé de l’au-delà. Le rapport entre les êtres vivants et le surnaturel, le domaine du sacré, est permanent. Et particulièremnet manifeste lors de cérémonies rituelles telle que la fête du Têt. La présence des ancêtres est donc un élément naturel et heureux de la vie familiale. Tout au long de l’année, ils continuent de vivre avec leurs descendants, ils sont tenus informés et associés à tous événements importants de leur famille. Ils ont un rôle actif lors de toute cérémonie rituelle (naissance, anniversaires d’enfants, mariage et décès, etc) (Nguyen- Rouault, 2001).
Le culte des ancêtres repose sur la conviction que l’âme du défunt survit après la mort et protège sa descendance. Il est trop souvent associé, à propos du Vietnam, à des croyances religieuses- généralement le bouddhisme ou encore aux principes philosophiques du confucianisme. Mais ce culte traditionnel et ancestral existait et était pratiqué bien avant l’introduction de ces préceptes religieux et moraux dans la religion vietnamienne. Le Vietnam a ensuite évolué dans un véritable syncrétisme religieux où pratiquement tous les vietnamiens continuent de vénérer et honorer leur ancêtres, de se référer aux principes confucéens tout en se rattachant à une pratique religieuse (le bouddhisme, le taoïsme ou la catholicisme) et même, pour certains, à une doctrine politique pourtant difficilement compatible avec des pratiques liées au monde surnaturel, le marxisme-léninisme. Les Vietnamiens n’hésitent donc pas à appliquer parallèlement plusieurs croyances, mêlant religions et pratiques superstitieuses, rendant des cultes à la fois à leur propre ancêtres et à des personnages célèbres ayant œuvré pour le pays.
Le culte des ancêtres n’est qu’un aspect de la réalité culturelle des Vietnamiens et il ne peut se comprendre qu’au regard d’autres agencements culturels, d’autres organisations sociales. Ainsi, l’organisation des cérémonies liées à ce culte exprime la hiérarchie de chacun des membres dans la lignée familiale. De la même manières, les représentation de l’homme, de l’univers qui sous-tendent le culte sont autant d’éléments qui ne peuvent être détachés de cette pratique culturelle.
Le culte des ancêtres contribue à développer les bonnes traditions de la familles et à consolider les relations familiales, c’est à la fois un sentiment naturel et un devoir pour chacun. Le culte des ancêtres est le souvenir des réalisations des générations antérieures. Il est évident qu’aujourd’hui les membres de la famille doivent être solidaires, s’entraider, accomplir de bons actes et éviter les mauvais. Cette relation constitue une force capable d’aider les individus à surmonter des difficultés pour édifier des familles heureuses.
Nguyen Thuy (présenter)