Le comportement économique humain pourrait n'avoir que peu évolué au cours des 3500 dernières années. Une nouvelle étude montre que les dépôts de métal enterrés durant l'âge de bronze révèlent des similitudes frappantes entre la vie économique des personnes ordinaires de l'époque et la nôtre.
Les Européens de l'âge du bronze (3300-800 av. J.-C.) n'étaient pas de méticuleux comptables comme les anciens Mésopotamiens. Mais une étude publiée dans Nature Human Behavior le 29 juillet 2024 par des chercheurs des universités de Göttingen (Allemagne) et de Bologne (Italie), suggère que leurs habitudes de dépense pourraient n'avoir que peu de différences avec celles d'aujourd'hui. Leurs résultats, discutés dans la communauté scientifique, remettent en question l'idée selon laquelle les élites – qui ont laissé derrière elles davantage de traces - étaient la force dominante dans les économies de l'époque.
Mystères des dépôts métalliques de l'âge du bronze
Pour reconstituer la vie des populations de l'âge de bronze, les archéologues peuvent se reposer - à des défauts d'écrits- sur les artefacts qu'ils ont laissés derrière eux. Notamment, ceux en métal, bien moins périssables que la laine ou le bois. À cette période à travers le continent, il était courant de déposer dans le sol des amas de fragments métalliques, désormais connus sous le nom de "dépôts".
Les raisons derrière ces enfouissements restent encore bien mystérieuses. "Était-ce un acte religieux ? Une destruction intentionnelle de biens de valeur conçue pour réduire les inégalités de richesse ? Des débris cachés pendant des périodes de conflit ou mis de côté pour une utilisation future dans la métallurgie ?", se questionnent dans un article de The Conversation deux spécialistes de l'université nationale australienne, Catherine J. Frieman (professeure associée en archéologie européenne) et Caroline Schuster (professeure associée à l'École d'archéologie et d'anthropologie).
"Les archéologues ont passé des décennies à essayer de répondre à cette question", ajoutent-elles. Une autre difficulté soulignée par les expertes est que les individus de l'âge du bronze retrouvés ne sont que rarement "monsieur et Madame Tout-le-monde". Ils sont souvent enterrés dans de grands tumulus, accompagnés de nombreux objets funéraires métalliques - à l'image des riches tombes de guerriers mycéniens, contenant leurs armes, bijoux et objets précieux , témoignant d'un certain statut.
Ainsi, les chercheurs ont souvent supposé "que ces personnes et leurs alliances ont façonné les mouvements de métal pendant l'âge du bronze". L'étude suggère que la situation était plus complexe.
Standardisation des dépôts : une monnaie précoce ?
Les archéologues Nicola Ialongo et Giancarlo Lago proposent une autre manière de comprendre les dépôts de métal. Ils ont pour cela analysé près de 25 000 objets provenant de plus de mille sites en Italie, Suisse, Autriche, Slovénie et Allemagne, enterrés durant l'âge du bronze. Ils ont découvert qu'au fil des siècles, les poids et tailles de ces artefacts semblent s'être standardisés sur tout le continent. Plus encore, certains d'entre eux ont été fragmentés en morceaux d'environ 10 grammes, qui auraient, d'après les auteurs de l'étude, été utilisés par tous comme forme précoce de monnaie généralisée.
Ce genre de standardisation, indiquent Catherine J. Frieman et Caroline Schuster (qui n'ont pas participé à ces recherches), pourrait être née d'un mélange de rites religieux partagés et d'un intérêt croissant pour les voyages longue distance en Europe : "lorsqu'on rencontre de nouvelles personnes dont on ne parle pas la langue, avoir une manière partagée de s'habiller ou d'agir peut faciliter les échanges sociaux, la communication et le commerce d'histoires et de biens", écrivent-elles.
Les scientifiques ont par ailleurs comparé les dépenses des ménages préhistoriques avec celles des ménages modernes et ont trouvé une similitude : la plupart des dépenses étaient de petites sommes. Pour parvenir à cette conclusion, ils ont analysé de nombreux fragments de poids différents et ont remarqué que les plus objets légers étaient les plus nombreux et représentaient, ainsi, de petites dépenses fréquentes ; les objets plus lourds étaient en revanche plus rares, représentant de grosses dépenses plus exceptionnelles. Un modèle semblable à un portefeuille moderne, avec beaucoup de petites coupures dédiées aux achats du quotidien et très peu de grosses coupures.
Des révisions (contestées) de l'économie préhistorique
Les résultats de ces recherches pourraient changer drastiquement notre compréhension de l'économie préhistorique. Au lieu de la voir comme primitive, basée sur le troc et l'échange de cadeaux, les chercheurs suggèrent ici que les sociétés de l'âge du bronze pourraient déjà avoir eu très tôt des systèmes régulés par l'offre et la demande, où chacun contribuait selon ses moyens. "Techniquement, nous ne prouvons pas que l'économie de l'âge du bronze était une économie de marché, ajoute Nicola Ialongo au New Scientist. Nous ne trouvons simplement aucune preuve qu'elle ne l'était pas."
Interrogée par le média scientifique également, Erica Schoenberger, géographe économique et historienne de l'environnement de l'université Johns Hopkins (États-Unis), est plus sceptique. Elle cite le cas des paysans anglais qui, au Moyen Âge, n'auraient commencé à échanger leurs produits contre de l'argent que lorsque leurs seigneurs l'ont exigé. "Il est risqué de supposer que les gens ordinaires des temps prémodernes utilisaient l'argent de manière économique ordinaire", déclare-t-elle ainsi.
Pour Richard Blanton, spécialiste de l'anthropologie économique de l'université Purdue (États-Unis), ces résultats devraient constituer pour les archéologues et les anthropologues l'occasion de revoir des hypothèses établies depuis longtemps. "Pour moi, l'article jette une nouvelle lumière sur la fonction des dépôts de bronze et leur potentiel pour l'utilisation des pièces de bronze comme unités d'échange", ajoute-t-il. Les auteurs espèrent en outre que leurs découvertes encourageront des spécialistes d'autres disciplines à mener des études similaires sur les artefacts d'autres régions et cultures.