Comment une vie d'écriture sur papyrus affecte-t-elle le corps ? De nouvelles recherches suggèrent que les scribes égyptiens souffraient, à cause de leur position de travail notamment, de davantage de lésions osseuses que les autres hommes.
"Était-ce (vraiment) une bonne situation, ça, scribe ?" S'il est connu des historiens que les fonctionnaires lettrés de l'Égypte antique jouissaient d'un statut privilégié en leurs temps, une nouvelle étude, publiée dans les Scientific Reports le 27 juin 2024, apporte des informations sur cette condition ancienne : il semblerait qu'il y a quatre millénaires, les scribes souffraient de dommages aux hanches, mâchoires et pouces en raison de leur travail.
Les scribes, de rares alphabétisés dans l'Ancien Empire
Au IIIe millénaire av. J.-C., seule 1 % de la population égyptienne sait lire et écrire. Du moins, c'est ce qu'ont estimé les auteurs de la publication sur la base des recherches des égyptologues britanniques John R. Baines (département d'Études orientales d'Oxford) et Christopher Eyre (université de Liverpool). "Les 1 % de la population de l'Ancien Empire qui étaient alphabétisés sont déterminés par un calcul mathématique du nombre de personnes vivant en Égypte à cette époque et du ratio d'officiels par rapport à ce nombre", explique au Haaretz Veronika Dulíková, égyptologue à l'Institut tchèque d'égyptologie de l'Université Charles de Prague et coauteure de l'étude.
S'il est donc difficile à estimer (et ne fait pas consensus), le taux d'alphabétisation était particulièrement faible. Dans l'Ancien Empire (environ 2700 à 2200 av. J.-C.), les scribes étaient donc une ressource précieuse. Ils entreprenaient un travail administratif crucial, qui explique en partie leur ancien statut social élevé.
Certes, ils n'allaient pas à la guerre, ne transportaient aucune brique pour construire les pyramides et ne travaillaient à la ferme. Mais la répétitivité de leurs actions en position assise n'était pas sans conséquence pour autant.
Santé osseuse et contraintes physiques il y a 4 000 ans
C'est ce qu'a révélé l'analyse des restes squelettiques de 69 hommes adultes, enterrés dans la nécropole d'Abousir (sur la rive ouest du Nil, Égypte) entre 2700 et 2180 av. J.-C. et connus comme des scribes grâce aux inscriptions sur leurs tombes. La comparaison de leurs os à ceux d'hommes non-scribes a montré que les deux groupes étaient très similaires. Ils présentaient par exemple des bras et des jambes plus robustes que ceux d'aujourd'hui.
Mais chez les secrétaires, les analyses ont révélé une incidence plus élevée d'arthrose des articulations entre la mâchoire inférieure et le crâne, la clavicule droite, l'épaule droite, le pouce droit, le genou droit et la colonne vertébrale, en particulier au niveau du cou. Des signes révélateurs de stress physique ont également été observés sur l'humérus et l'os de la hanche gauche, les rotules, la cheville droite… Les chercheurs notent qu'il est possible que certaines de ces lésions aient été influencées par le fait que les scribes étaient âgés au moment de leur mort.
Ces résultats sont toutefois cohérents avec les représentations murales et les écrits de l'époque, qui figurent les transcripteurs dans des postures accroupies ou en tailleur, avec leurs bras non soutenus et la tête penchée en avant. Une position qui met indéniablement la colonne vertébrale sous tension. D'autant que leur carrière débutait souvent à l'adolescence : les scribes travaillaient ainsi durant de longues heures… et de longues années !
Des (mauvaises) habitudes pour le dos, la mâchoire, la main
Quant aux observations faites sur la mâchoire, celles-ci pourraient s'expliquer par un outil : le pinceau. Il y a 4 000 ans, les scribes utilisaient de fins calames en roseaux (Juncus acutus) trempés dans l'encre. Avant qu'ils ne soient supplantés par des instruments plus rigides à partir de Phragmites communis vers environ 100 av. J.-C. Or, nos écrivains devaient mâcher la plante à l'extrémité pour en former la tête. "Lorsque le calame devenait effiloché ou bouché par l'encre, le scribe coupait à nouveau l'extrémité et mâchait la section suivante. Cela arrivait assez souvent", décrit à nos confrères la première auteure de l'étude, Petra Brukner Havelková du Musée national de Prague.
Selon la spécialiste, citée par le Guardian cette fois, il est très probable que les scribes aient souffert au moins occasionnellement de luxations de la mâchoire et de maux de tête. Les dommages au pouce droit – l'art antique suggère qu'ils étaient droitiers – pourraient aussi être liés au pincement ou à la prise du calame, nécessitant une certaine dextérité. "Je ne serais pas surprise s'ils souffraient également du syndrome du canal carpien à la main [compression du nerf médian au niveau du poignet, entraînant des douleurs et engourdissements dans les doigts, N.D.L.R.], mais malheureusement nous ne pouvons pas identifier cela sur les os", ajoute-t-elle.
Cela dit, les scientifiques notent qu'il n'y avait pas une énorme différence entre les ossements des administrateurs et des autres. Peut-être, parce que les seconds adoptaient eux aussi fréquemment les mêmes positions dans le cadre de leur profession. Pour celle de scribe, les facteurs de risque se concentraient probablement au-dessus de la taille… tout comme les travailleurs de bureau actuels. Ces conclusions pourraient à l'avenir aider à identifier, à travers ces dommages caractéristiques au cou, au dos et au pouce droit, ces anciens fonctionnaires parmi les squelettes d'individus dont les titres ne sont pas connus.