Ce vase est l'un des rares exemplaires de vases diatrètes connus et le seul a avoir été mis au jour en France. © H. Azmoun, Inrap
Exceptionnel témoignage de la virtuosité des verriers de l'Empire romain, le vase diatrète découvert en 2020 à Autun a été entièrement reconstitué et est actuellement exposé au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
Sa découverte à Autun, en Bourgogne, au cours de l’été 2020, avait créé l’événement. Mis au jour après 1600 ans passés dans la terre, ce vase fait en effet partie de la très rare catégorie des vases dits « diatrètes » (du latin diatretum signifiant « tourné, fait au tour », dont seulement 10 exemplaires complets sont répertoriés. Découvert à l’état de fragments à l’intérieur d’un sarcophage lors de fouilles menées dans une nécropole antique, il a été intégralement restauré et est aujourd’hui exposé, jusqu’au 17 juin, au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Sculpté dans un seul bloc de verre, cet objet exceptionnel témoigne des summums de virtuosité atteints par les maîtres verriers de la fin de l’époque romaine.
Quand Autun s’appelait Augustodunum
L’importance du site de fouille pouvait laisser espérer une découverte d’envergure. Situé à proximité de l’église paléochrétienne de Saint-Pierre-l’Estrier, une des plus anciennes églises de Gaule, fondée au IVe siècle, la nécropole est aussi en périphérie de la ville d’Autun, baptisée Augustodunum lors de sa fondation par Auguste entre 16 et 13 avant J.-C. Bénéficiant des faveurs des empereurs, elle s’est imposée comme une ville de premier plan dans l’Empire pendant plusieurs siècles. Lors de la fouille des 230 tombes dirigée par Carole Fossurier, archéo-anthropologue de l’Inrap, plusieurs objets d’importance ont été découverts : un tissu de fils d’or et pourpre, des épingles en ambre et, dans un sarcophage en grès, l’inattendu vase diatrète.
Cinq épingles en ambre retrouvées dans une sépulture de la nécropole de Saint-Pierre-L’Estrier, IVe siècle © D. Gliksman, Inrap
“N’importe quel archéologue était capable de reconnaître le côté atypique de cet objet », explique Nicolas Tisserand, responsable adjoint des fouilles. Pris dans une gangue de terre, le vase préservé pendant 1600 ans fait partie de la catégorie des vases diatrètes. Ils se distinguent par leur exceptionnel décor : une résille ou des motifs figurés qui se détachent en relief de la panse du vase à laquelle ils ne sont plus reliés que par de fines attaches. Premier vase retrouvé complet depuis 1975, il s’agit également du premier vase diatrète découvert sur le sol français où n’avaient été identifiés jusqu’à présent que des fragments.
Vue du vase diatrète dans le sarcophage où il a été découvert à Autun © Bérénice Bétend-Desgranges, Inrap
Un vase antique façon puzzle
Le vase a tout d’abord été prélevé « en mottes », une technique qui permet de maintenir les fragments dans le sédiment. Nettoyé sur place, au musée d’Autun, il a ensuite été divisé en 150 petits sacs et envoyé en Allemagne, au laboratoire du Römisch-Germanisches Zentralmuseum, à Mayence, pour être restauré. Nicolas Tisserand qui a encadré le transport se remémore : « On ne pouvait même plus deviner qu’il s’agissait d’un vase, tout était numéroté à la manière d’un puzzle. On n’emmenait pas un objet exceptionnel, on emmenait en fait un objet exceptionnel dans des petits sacs.
“Le vase une fois prélevé du sarcophage ©Christophe Fouquin/Inrap
Le choix du restaurateur (qui aura également la mission d’étudier l’objet) s’est révélé à la fois complexe et évident : « il fallait avoir une vision européenne, voire paneuropéenne des découvertes, puisque des vases diatrètes ont été retrouvés jusqu’en Macédoine du Nord ». Le nom de Katja Broschat s’est immédiatement imposé : cette restauratrice, la seule habilité à intervenir sur le trésor de Toutânkhamon, a déjà mis l’excellence de ses compétences au service de la restauration d’un vase diatrète. Quant à la reconstitution du vase elle-même, c’est avec une simple colle classique, utilisée pour restaurer n’importe quel type de verre translucide, que Katja Broschat a assemblé chaque fragment.
Vue éclatée du vase avant sa restauration © Hortense Albisson
Sculpté dans un seul bloc
D’une hauteur de 12,6 cm, le vase a révélé la finesse de son décor une fois reconstitué. « Ce qui fait sa rareté, explique Nicolas Tisserand, c’est que contrairement à la plupart des vases qui sont moulés, et auxquelles on ajoute des pièces, les artisans sont partis ici d’un bloc de verre qui a été d’abord moulé puis incisé, sculpté, scié, abrasé… » Soit plusieurs mois de travail pour détacher de l’épaisseur de la paroi le décor, maintenu seulement par de courtes tiges, formant comme une cage tout autour du récipient. Celui-ci se compose d’une frise d’oves finement ajourée, sur le col, d’une inscription VIVAS FELICITER (« Vis avec félicité ») qui s’enroule autour de la panse du vase et enfin, d’une fine résille ornementale sur la base de la coupe.
Vase diatrète retrouvé dans une sépulture de la nécropole de Saint-Pierre-L’Estrier, IVe siècle © H. Azmoun, Inrap
Si sur certains exemplaires répertoriés, le décor semble avoir été soudé sur la panse, les experts sont ici formels : « Les attaches, qui relient les lettres au corps du vase, sont translucides. Si cela avait été du verre collé, il y aurait une opacité ». On estime que pour réaliser aujourd’hui un vase similaire, il faudrait 5 années de travail à artisan spécialisé pour maîtriser pleinement la technique, compte tenu du taux important de casse à envisager. « Des essais ont été faits, raconte Nicolas Tisserand, mais avec des moyens mécaniques et électriques : personne n’a eu le courage de passer 5 ans à essayer de sculpter un vaste diatrète. “
Vase diatrète retrouvé dans une sépulture de la nécropole de Saint-Pierre-L’Estrier, IVe siècle © H. Azmoun, Inrap
Des ateliers d’exception pour des biens de prestige
Si les collections d’objets en verre dans les musées archéologiques européens rendent compte de l’importante production de ce matériau dans l’Empire romain, au même titre que la céramique, ces vases témoignent de l’existence d’ateliers spécialisés dans une production de prestige. Alors que la technique du verre moulé est largement répandue, et que, de la Turquie à l’Algérie, de l’Angleterre à la Pologne, on retrouve les mêmes formes d’urne, de gobelet ou de bouteille, le degré de maîtrise technique est inégal explique Nicolas Tisserand : « les premiers objets gaulois en verre sont plutôt des perles et des bracelets à une période où parallèlement, vous avez à Rome des objets en verre extraordinaires qui atteignent une maîtrise parfaite ».
La Coupe de Lycurgue, IVe siècle, conservée au British Museum à Londres © Vassil/Wikimedia Commons
Reconnus comme les plus précieux des verres romains, les vases diatrètes sont fabriqués par des diatretarius. Si les sources écrites sont rares sur l’artisanat, rapporte Nicolas Tisserand, ces derniers sont cités dans un document listant des compétences et les prix associés, mais aussi le responsable en cas de casse d’un vase. Les ateliers de ces artisans d’exception étaient probablement contrôlés par le pouvoir impérial, comme cela était le cas pour les fabricants d’armes ou les gynécées qui réunissaient des couturières réalisant des tissus de grande valeur.
La Coupe de Cologne, 1ere moitié du IVe siècle, découverte à Cologne, conservée au musée romain-germanique © Carole Raddato/Wikimedia Commons
Un savoir-faire d’excellence tombé dans l’oubli
De nombreux vases diatrètes ont été retrouvés autour de Cologne, à proximité de Trèves où était alors installé le pouvoir impérial. Ceci renforce l’hypothèse selon laquelle le vase mis au jour à Autun, et ceux auxquels il est assimilé, a été fabriqué dans cette région de l’Allemagne. Quant à sa présence dans une tombe de la nécropole d’Augustodunum, c’est probablement en tant que riche présent offert à un dignitaire local qu’il a été envoyé depuis l’Allemagne, peut-être par l’empereur lui-même.
Tissu tissé de fil d’or retrouvé dans une sépulture de la nécropole de Saint-Pierre-L’Estrier, IVe siècle © F. Médard, Anatex
Si tous les vases diatrètes n’ont pu être datés, il a pu être établi pour la plupart ont été fabriqués au IVe siècle, au cours d’une période relativement courte, de 70 ou 80 ans. Une concentration de la production qui, selon Nicolas Tisserand, peut être assimilée à un effet de mode qui se sera par la suite cristallisé sur d’autres biens. Et si de nouveaux types de verres sont fabriqués, ils n’atteignent pas la même virtuosité : la technicité spécifique liée à la production de vases diatrètes disparaît.
Vue du vase diatrète présenté dans l’exposition « D’un monde à l’autre. Autun de l’Antiquité au Moyen Âge » dont Agathe Mathiaut-Legros, conservatrice en chef et directrice des musées et du patrimoine de la ville d’Autun est l’une des commissaires © Hortense Albisson