Quelle odeur régnait-il dans les ateliers d'embaumement de l'Égypte antique il y a plus de 3500 ans ? Une équipe de l'Institut Max Planck, en Allemagne, est parvenue à retrouver cette fragrance à partir d'une momie de jeune femme ayant vécu sous la 18e dynastie.
L'un des vases canopes en calcaire de Senetnay, vers 1450 avant notre ère, au musée August Kestner, à Hanovre (Allemagne).
MUSEUM AUGUST KESTNER, HANNOVER/CHRISTIAN TEPPER
Barbara Huber, archéologue à l'Institut Max Planck (MPI) de la science de l'histoire humaine, nous l’avait assuré en avril 2022: une nouvelle gamme de technologies regroupées sous le terme de "sciences biomoléculaires et omiques" étaient en passe d’aider les archéologues à recréer les odeurs du passé. Il n’aura pas fallu bien longtemps à la chercheuse pour en faire la démonstration concrète. Dans une étude publiée le 31 août 2023 dans la revue Scientific Reports, co-signée avec une équipe de géoanthropologues du MPI, celle-ci explique avoir pu reproduire le mélange olfactif, couramment surnommée "l’odeur de l’éternité", utilisé pour la momification d’une jeune femme il y a plus de 3500 ans.
Nourrice d'Amenhotep II
La défunte, une noble du nom de Senetnay, a été embaumée au cours de la 18e dynastie, vers 1450 avant notre ère, et compte parmi les momies excavées il y a plus d'un siècle par Howard Carter dans la tombe KV42 de la Vallée des Rois. Elle était la nourrice du fils et héritier tant attendu du pharaon Thoutmosis III, le futur pharaon Amenhotep II, qu'elle allaita durant sa petite enfance.
À sa dépouille étaient associés plusieurs vases canopes aujourd’hui conservés au musée August Kestner à Hanovre, en Allemagne, qui autrement contenaient ses organes momifiés. L’analyse de ces jarres a ainsi pu révéler la liste des substances utilisées par les prêtres pour assurer à Senetnay le bon déroulement de son voyage vers l’au-delà : cire d'abeille, huile végétale, graisses, bitume, résine de pinacées (probablement de mélèze), de dammar ou de pistachier et une substance balsamique non identifiée. "Il s'agit des baumes les plus riches et les plus complexes jamais identifiés pour cette période précoce", assurent Barbara Huber et ses confrères, qui se réjouissent que leurs résultats puissent "mettre en lumière des ingrédients au sujet desquels les sources textuelles égyptiennes sont peu bavardes."
Exotisme précoce
Ce savant mélange permet également d'apporter la preuve du statut exceptionnel de la jeune femme, membre clé du cercle intime du pharaon, mais aussi de l’étendue des relations commerciales des Égyptiens dès le 2e millénaire avant notre ère. "Les ingrédients contenus dans le baume montrent clairement que les anciens Égyptiens s'approvisionnaient très tôt en matériaux provenant de l'extérieur", explique dans un communiqué la professeure Nicole Boivin, chercheuse principale du projet.
Parmi les technologies utilisées pour retrouver et récréer la fragrance, la chromatographie gazeuse associée à la spectrométrie de masse ou encore la chromatographie liquide, toujours associée à la spectrométrie de masse. Crédits : Barbara Huber
Car si la résine de mélèze provenait sans doute du nord de la Méditerranée, le dammar, lui, a dû être importé de bien plus loin : cette gomme naturelle est exclusivement extraite d’arbres des forêts tropicales d'Asie du Sud-Est. Si l'utilisation du dammar pour la momification de Senetnay venait à être confirmée, les égyptologues devraient donc accepter que les Égyptiens anciens avaient cette résine à leur disposition mille ans plus tôt qu’ils ne le pensaient jusqu’ici.
Cette odeur antique si particulière pourra être prochainement sentie par le public au cours d'une exposition au musée Moesgaard, au Danemark.