A l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion, la BNF propose une exposition pour se mettre dans les pas du célèbre savant français, dont la compréhension de l’écriture des anciens égyptiens a redonné vie à toute une civilisation qui fascine toujours.
Carnet de notes manuscrites de Jean-François Champollion. Copies d'inscriptions de momies.
CRÉDITS: BNF/ DÉPARTEMENT DES MANUSCRITS
Des propos prêtés à Gérard de Nerval, voudraient que le poète du 19e siècle, évoquant des hiéroglyphes égyptiens aperçus sur l’Obélisque érigé en plein Paris en 1836, ait décrété "qu’une écriture où il y avait des canards, des hannetons, des peignes, des clefs de montre et des tirebouchons", ne pouvait pas être véritablement une écriture… C’est pourtant à la gloire du déchiffrement de cette écriture "à canards et à hannetons" des anciens égyptiens que la Bibliothèque Nationale de France (BNF) consacre l’exposition L’Aventure Champollion, Dans le secret des Hiéroglyphes. Qu’il s’agisse de manuscrits, d’estampes, de sarcophages, de papyrus, sculptures ou de dictionnaires et grammaires… C’est une masse de documents exceptionnels que présente la BNF, propriétaire de l’ensemble des archives scientifiques de Jean-François Champollion (1790-1832), l’illustre déchiffreur de ce système graphique. Du 12 avril au 24 juillet 2022, dans le cadre du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes, les visiteurs pourront ainsi mettre leurs pas dans ceux du célèbre savant originaire de Figeac (Lot), à travers l’exhibition de plus de 350 pièces dont la plupart jamais vue.
Estampage à l'encre noire sur papier des trois inscriptions retrouvées sur la pierre découverte à Rosette, en Egypte, réalisé lors de sa découverte en 1799. Crédits : BNF/Département des manuscrits
Un imposant estampage de la célèbre "Pierre de Rosette"
Dès la première salle, et en introduction, on est tout de suite transportés aux lendemains de l’Expédition d’Egypte (1798-1801) voulue par Napoléon, l’acte fondateur de la discipline égyptologique. Aux murs, la première carte scientifique relevée du pays des Pharaons par les savants français, mais aussi leurs journaux de terrain. A l’exemple de l’un des 15 carnets à l’écriture serré produits par Henri-Joseph Redouté (1766-1852). Plus loin, des volumes de la monumentale "Description de l’Egypte" publiée en 1809, et un imposant estampage de la célèbre "Pierre de Rosette". Cette stèle gravée plurilingue par qui tout a été possible et qui est à l’origine de la lumineuse "Lettre à Mr. Dacier, relative à l’alphabet des hiéroglyphes" écrite par Champollion en septembre 1822, dont la diffusion a fait connaitre au monde entier la découverte du père de l’égyptologie.
Portrait de Jean-François Champollion (1790-1832) par Léon Cogniet. Crédits : BNF/Coll. particulière. Photo Gaëlle Deleflie
"Nous avons voulu proposer une exposition à multiples lectures pour amener le public à réfléchir sur ce qu’était une écriture non déchiffrée, sur la façon dont fonctionne la recherche des systèmes de langue qui sont derrière, en montrant aussi les tâtonnements des savants. Le tout avec des documents exceptionnels extraits des 88 volumes d'archives, de notes et de dessins de la main de Champollion que nous possédons", explique Vanessa Desclaux, commissaire de l’exposition.
La diversité des usages de l'écriture égyptienne
Jusqu’au 18e siècle, et dès la fin de l’Antiquité, l’iconographie égyptienne n’avait été perçue qu’à travers des usages magiques réservés à des initiés. Devenus muets, les hiéroglyphes étaient restés cantonnés à des sortes de symboles dissimulant une connaissance secrète. Synonymes d’emblèmes, le fait qu’il s’agisse d’une véritable écriture avait été perdu. Ainsi est présenté l’ouvrage dans lequel apparait pour la première fois le mot hiéroglyphe dans un texte français. Il s’agit de la traduction du "Songe de Polyphile" (Hypnerotomachia Poliphili) de Francesco Colonna (1433-1527). Un livre rédigé en 1467, et imprimé à Venise en 1499.
"Dans une deuxième partie, on revient sur ce qu’est vraiment l’écriture égyptienne. Différents supports montrent la diversité des usages de cette écriture, et nous avons choisi d’aller au-delà du démotique et du hiératique, en montrant aussi du latin, du grec, de l’arabe, pour faire comprendre que c’est grâce à tous ces mélanges de langues que les déchiffrements ont aussi été rendus possibles", poursuit Vanessa Desclaux. Parmi les premiers déchiffreurs, le jésuite allemand Athanase Kircher (1602-1680) à qui l’on doit d’avoir découvert la parenté entre l’égyptien et le copte est présent grâce à l’exemplaire de son livre - propriété de Champollion dont on peut apercevoir la discrète signature. Mais aussi l’abbé Barthelemy (1716-1795), notamment à travers une lettre écrite au Comte de Caylus (1692-1765), après que celui-ci lui a montré les restes d’une bandelette de momie recouverte de signes qu’il détenait dans sa collection. "Je crois que c’est de l’Etrusque", avait lancé ce dernier. "Non, je crois qu’il s’agit plutôt d’une forme simplifiée de hiéroglyphes. Il me semble d’ailleurs que les ovales entourant certains signes seraient pour les noms de rois". Une intuition qui fait de l’abbé Barthélémy le premier à avoir compris que les cartouches encerclant certains hiéroglyphes contenaient effectivement des noms des pharaons ! On est alors en 1757. Champollion découvrira aussi la parenté totale existant entre l’égyptien et le copte (une forme tardive de l’égyptien ancien) -dont il avait déjà rédigé une grammaire à l’âge de 19 ans ! Etant un des plus fins coptisants de son époque, Champollion va avancer très vite. Un manuscrit introduit son travail sur la pierre de Rosette. On y voit presque en direct comment celui-ci travaille pour essayer de comprendre le fonctionnement des trois types d’inscriptions présentes sur la stèle qu’il met en parallèle : l’une est gravée en hiéroglyphes, l’autre en démotique (écriture cursive des anciens égyptiens) et la dernière en grec ancien.
Cartouche du nom de Cléopâtre VII Philopator, dans un carnet de Champollion de 1822 intitulé : "Souverains persans, grecs et romains de l'Egypte (de Xerxès à Antonin). Crédits : BNF/Département des Manuscrits
"Il va aussi redonner des dieux à l’Egypte"
Sa première percée est d’avoir déchiffré les noms des pharaons d’origine étrangère. Un exemple est donné avec le nom de Cléopâtre, (reine lagide) comme on peut le lire dans l’un des carnets exposés. Sur chacune des pages, des cartouches sont reproduits, avec le nom d’un pharaon ou celui d’une reine d’origine grecque, romaine mais aussi perse. Une façon de rappeler que l’Egypte a aussi été hellénistique et que c’est grâce à cela que le déchiffrement des hiéroglyphes a pu se faire. L’étape suivante a été pour le savant de déchiffrer les cartouches des pharaons égyptiens eux-mêmes. L’on voit ainsi comment Champollion parvient à traduire de simples noms de personnages jusqu’à de de longs rituels funéraires. "Il va aussi redonner des dieux à l’Egypte en ne se contentant pas des noms que les Grecs et les Romains avaient transmis dans leurs textes. Ce qui nous a permis de redécouvrir une collection de bronzes légués à la Bibliothèque nationale. Des bronzes vus par Champollion lui-même et qu’il a reproduit dans son panthéon égyptien en rétablissant la fonction de ces dieux, et leurs véritables noms. Hermès redevient Thot", ajoute la commissaire de l’exposition. Surtout, Champollion va redonner une chronologie à l’Egypte, après être allé à Turin et avoir découvert le Canon royal de Turin et la liste de tous les souverains jusqu’au début du Nouvel Empire (1500-1000 av. notre ère).
Statuettes de bronze de dieux et déesses de l'Egypte antique. Crédits : BNF/département des Monnaies, médailles et antiques
En avançant dans l’exposition, aux déchiffrements succède la quête des textes sur les monuments ou dans les publications, telle qu’elle se fait encore de nos jours. Les échanges entre les réseaux académiques, le rôle des sociétés savantes. Dans l’une des vitrines est exposée la boite à dessin de l’égyptologue Emile Prisse d’Avesnes (1807-1879), pour montrer ce qui était emporté sur le terrain. On y voit des pains d’aquarelle, des encres, des plumes, des instruments de mesure, des loupes et boussoles, tout le matériel de relevé nécessaire au savant du 19e siècle. Ce qui permet d’introduire un espace destiné au voyage en Egypte de Champollion à travers les dessins effectués par son compagnon l’architecte Nestor L’Hôte pendant que lui relevait les hiéroglyphes. Une expédition d’un an menée entre 1828 et 1829 sur les bords du Nil, où un travail colossal de relevés sera réalisé, permettant à Champollion de dire : "Je ramène des moissons pour plusieurs vies".
Après le dessin, une salle consacrée à la photographie (née sept ans après la mort de Champollion) s’intéresse à l’enregistrement des données et l’estampage (l'empreinte directe sur les pierres inscrites avec des papiers humidifiés tels qu’ils se faisaient à l’époque).
Les premières utilisations de la photographie en Egypte. Ici, un cliché de John Beasley Greene, un des fondateurs de la Société française de photographie qui voit le jour le 15 novembre 1854. Mort prématurément à l'âge de 24 ans, le jeune égyptologue-photographe se rendra à plusieurs reprises sur les bords du Nil. Crédits : BNF/Département des Estampes et de la photographie.
La diffusion du système hiéroglyphique à partir du 19e siècle
Dernière grande thématique de l’exposition, la transmission du savoir et la diffusion du système hiéroglyphique à partir du 19e siècle. L’apprentissage des langues orientales par Champollion, lequel aura étudié plus d’une trentaine de langues et d’écritures. Sont exposés un grand nombre de manuscrits et documents sur lesquels il a travaillé, où l’on découvre que le savant s’était même intéressé aux hiéroglyphes mayas, "ce que j’ai découvert à ma grande surprise en montant l’exposition", avoue Vanessa Desclaux. Pour clore la partie enseignement, la création de la chaire d’Egyptologie au Collège de France dont Champollion a été le premier titulaire. Une affiche conservée annonce son cours d’avril 1831. Une exposition où l’on apprend que Champollion a aussi suivi le premier cours d’archéologie donné en France en 1795 après la Révolution et où l’on découvre que Victor Hugo s’était aussi essayé à traduire des hiéroglyphes. Dans ce parcours savant que les passionnés arpenteront avec appétence, les enfants ne sont pas oubliés, plusieurs ateliers ayant été prévus pour eux.