Depuis 2020, un projet de conservation de la vieille ville d’Agadez au Niger a débuté sous les auspices de la société Iconem et de la Fondation Aliph.
Reconstruction du modèle 3D en nuage de points du centre historique de la vieille ville d’Agadez, au Niger. CRÉDITS: ICONEM AVEC LE SOUTIEN D’ALIPH
"Enfant, lorsqu’il m’amenait voir des peintures rupestres et des empreintes de dinosaures pendant qu’il gardait ses troupeaux, mon oncle, un pasteur touareg, me parlait de la beauté de la vieille ville d’Agadez… Aujourd’hui, je peux la survoler à l’aide d’un drone pour la conserver en 3D !» Rencontré à Paris lors d’un récent séjour, Mohamed Alhassane a confié à Sciences et Avenir l’envergure du projet développé avec l’aide de la société française Iconem, start-up connue pour ses contributions à la conservation des sites du patrimoine mondial en danger avec la réalisation de leurs doubles numériques en 3D. Un programme lancé à l’initiative de Mohamed Alhassane après le choc visuel de la spectaculaire exposition immersive réalisée par la jeune entreprise parisienne sur les "Cités Millénaires dévastés par la guerre", présentée à l’Institut du Monde Arabe (IMA) en 2018-2019.
"Après avoir vu ces images de lieux ravagés par les destructions, d’abord captés par drone puis reconstitués en 3D, et la façon dont cela touchait les gens, j’ai su ce qu’il fallait faire pour sauver Agadez, au Niger", raconte-t-il. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2013, la cité de 300.000 habitants, ancien carrefour caravanier reliant l’Afrique du Nord à l’Afrique subsaharienne, a longtemps été un lieu majeur d’échanges culturels transsahariens.
Extrait du modèle 3D du centre de la cité d'Agadez, au Niger. ©Iconem avec le soutien d'Aliph.
Un patrimoine fragilisé par le changement climatique
A travers l’Association Imane-Atarikh qu’il a créée – "Vie et Patrimoine" en tamasheq, une langue touarègue–, le relevé complet du cœur de la cité sahélienne a ainsi pu débuter en 2020. Et ce avec le soutien financier de la Fondation Aliph, dont le but est de protéger le patrimoine culturel dans les zones de conflits et post-conflits. Le patrimoine nigérien possède en effet de nombreux sites patrimoniaux et trésors d’architecture, mais ils sont aujourd’hui menacés par la situation que connait le Sahel. De la fréquence des crues amplifiées par le changement climatique, à l’instabilité sécuritaire de la région, ce patrimoine fragilisé se dégrade.
"La vieille ville d’Agadez est particulièrement vulnérable face à ces menaces et nous sommes avec ce projet au croisement des deux problématiques auxquels nous sommes sensibles, celle d’une ville atteinte par le changement climatique, qui plus est située dans une zone qui n'est pas toujours exempte de conflits", explique Valéry Freland, directeur exécutif de la Fondation Aliph, précisant : "Le fait que ce projet soit aux mains d’acteurs locaux de la société civile a également été une priorité pour l’apport de notre aide". Le cœur historique d’Agadez est aujourd’hui habité par environ 20.000 personnes dont les revenus se sont vus largement amputés depuis la disparition des touristes autrefois très présents.
Orthophotographie de la Grande Mosquée d'Agadez. © Iconem avec le soutien d'Aliph
Numériser une ancienne cité caravanière
"Deux campagnes de relevés photogrammétriques ont déjà permis l’enregistrement tridimensionnel de plusieurs bâtiments prestigieux de l’ancienne cité caravanière", explique Yves Ubelmann, l’emblématique fondateur d’Iconem. Dans le centre historique remontant au 15e siècle, la célèbre Grande Mosquée et son minaret en adobe de 27m, -le plus haut construit en terre crue de toute l’Afrique de l’Ouest-, ainsi que 15 bâtiments et maisons classées ont déjà été numérisés. On y trouve des habitations d’artisans forgerons, d’orfèvres, de boulangers ou bien encore de cordonniers.
Intérieur de la "maison du boulanger", dans le cœur historique d'Agadez (Niger). © Iconem avec le soutien d'Aliph/EPCC Saline Royale
Façonnés en banco (banko), un matériau de construction traditionnel de l’Afrique subsaharienne fait de terre argileuse et de paille hachée, tous ces édifices aux identités bien marquées témoignent d’une tradition architecturale exceptionnelle. Ainsi, sur le terrain, un œil sur le drone et ses caméras aéroportées, l’autre sur un écran, Marjorie Coulon, ingénieure chez Iconem, a enregistré l’ensemble de ces bâtiments pour pouvoir les restituer virtuellement, le tout au milieu des cris d’enfants et de la présence des familles intriguées par la scène. "En novembre 2021, je me suis rendue à Agadez depuis Niamey pour débuter la seconde campagne de relevés de la ville, explique la jeune femme. L’objet de ce projet est d’établir une documentation architecturale des monuments de la vieille ville d’Agadez afin d’engager la restauration de leurs structures."
Prise de vue zénithale réalisée par drone lors de la mission de captation du cœur d'Agadez. ©Iconem avec le soutien d'Aliph.
Ce programme a également permis de créer des emplois et a conduit à de premières restaurations de maisons traditionnelles. "En termes de préservation du patrimoine culturel, ce qui se passe à Agadez est aussi unique pour la conservation des savoir-faire, tels que le crépissage, etc.", ajoute Mohamed Alhassane. Occupées par des familles haoussas autant que touarègues, la restauration de ces bâtiments a été entièrement prise en charge par des financements de la Fondation suisse Aliph à hauteur de 220.000 dollars.
Photographie d'un enfant devant la porte d'une des maisons classées d'Agadez, issue des prises de vue 3D. ©Iconem avec le soutien d'Aliph
Une exposition de la cité numérisée pourrait aussi voir prochainement le jour à Agadez et à Niamey, la capitale de ce pays multiethnique de 20 millions d’habitants. Un rêve que Mohamed Alhassane voudrait pouvoir offrir à son pays. En attendant de peut-être pouvoir aller aussi sauver, grâce aux drones et à la 3D, les impressionnantes ruines de Djado, une cité fortifiée du nord-est du Niger difficile d’accès. Autrefois ville prospère, celle-ci est aujourd’hui abandonnée, rongée par l’avancée inexorable du désert.
Les ruines de l'ancienne Djado, au Niger. ©Michael Runkel/Robert Harding/AFP
En France, à partir du 26 mars 2022, un dispositif immersif au cœur du parc architectural de la Saline d’Arc-et-Senans, présentera le projet Agadez et certains des plus beaux sites Unesco du patrimoine mondial. Un voyage en 3D à travers 5 continents et plusieurs millénaires d’histoire. Les visiteurs seront transportés au cœur des sites en danger ou détruits par des conflits armés grâce à des reconstructions numériques. Un secteur qui malheureusement ne connait pas la crise…