Cette paire de vases en argent a été réalisée par des métallurgistes virtuoses du nord de l’Iran vers 600-800 apr. J.-C, c’est-à-dire à la fin ou après la période sassanide. The Al Thani Collection 2021/Photograph Matt Pia
EN PARTENARIAT - Visite en avant-première du nouveau musée. Quatre espaces d’exposition totalisant 400 m² où se trouvent rassemblés quelque 120 objets d’art et bijoux d’une qualité et d’un pedigree extraordinaires.
Six mille ans de créativité scintillent au sein d’un cabinet princier. Au premier étage de l’Hôtel de la Marine, passé l’escalier d’honneur, s’ouvre sur la droite un nouveau parcours, écrin aux merveilles de la très précieuse et richissimeCollection Al Thani. Ici, au sein de ces 400 m² séquencés en quatre salles ou galeries, sur le marbre noir d’un sol évoquant les parquets de Versailles, dans une pénombre propice à la délectation, les parois et les vitrines aux lignes épurées, qu’elles soient collectives ou individuelles, ont soin de toujours ménager un rapport intime avec les œuvres.
Un audioguide vient compléter les cartels. Très élaboré, il est baptisé «le Confident». Tout dispositif de mise à distance a été rejeté. La sobriété et le parti pris résolument contemporain développé par le cabinet ATTA, que dirige l’architecte japonais Tsuyoshi Tane, tranchent sur le reste du bâtiment. Car, si les volumes ont gardé les nobles proportions de l’édifice, ils n’ont pas - et n’ont peut-être jamais été pourvus - de décors néoclassiques. « Par leur raffinement et leur profusion, ceux-ci auraient forcément nui à une contemplation sereine des pièces que nous présentons », note Amin Jaffer.
Et ce conservateur en chef de la collection de rappeler que l’endroit a probablement toujours été simple, avec murs et plafonds blancs. Sa fonction première ayant été de servir de lieu d’exposition du Garde-Meuble royal, notamment pour les tapisseries. C’était là que, sous l’Ancien Régime, les puissants venaient choisir leur mobilier. «Très tôt donc, Cheikh Hamad a décidé de ne pas y pasticher un intérieur XVIIe ou XVIIIe siècle», précise son porte-parole.
Seulement sept objets dans la salle introductive. Mais ce sont sept phares emblématiques de civilisations et d’histoires différentes. De l’Égypte pharaonique à l’Amérique précolombienne, en passant par la Chine des Han.
Voilà disposés dans un milieu «cosmique» ces symboles de l’humanité, de sa diversité, de son histoire profuse ; exemples également d’une collection de «5 000 à 6 000 numéros» à l’éclectisme assumé. En effet, tout autour d’eux, des centaines de pépites dorées comme en apesanteur les baignent dans un sentiment d’infini. En regardant de près ces petites étoiles, on se rend compte qu’elles se trouvent suspendues au plafond par des fils de ligne invisibles. Et l’on s’aperçoit qu’elles ont une même forme florale. Précisément un motif de feuille d’acanthe. Celui dessiné au siècle des Lumières par Alexis Peyrotte, un peintre ornemaniste français célèbre alors, notamment pour ses singeries, ses chinoiseries, ses fleurs et autres arabesques…
Le deuxième espace prend pour thème la figure humaine. Celle, égyptienne, de la princesse d’Amarna, du dieu hellénistique Sérapis ou encore d’un ancêtre fang sculpté dans un bois du Gabon. Il succède ainsi aux évocations d’univers animistes. D’un élégant gris profond, il s’avère tout aussi beau et impressionnant que les premiers. Avec un alignement de onze cylindres de verre, reliquaires modernes pour onze effigies sculptées. Ces meubles possèdent, dissimulés dans leur socle en titane, des vérins automatisés permettant une présentation modulable de haute précision. C’est ainsi que les yeux de tous les visages présentés ont été réglés sur une même horizontale pour un plus grand pouvoir de présence.
Des vitrines spéciales
La technologie de ces vitrines fabriquées spécialement est due à la société Goppion. Ces artisans milanais d’excellence ont déjà à leur actif la conception de celles «en aura» choisies pour la muséographie de la donation Ladreit de Lacharrière au Musée du quai Branly-Jacques Chirac ; celle du voile de la Vierge dans la cathédrale Notre-Dame de Chartres ; celles pour les épées de samouraï du Musée national de Tokyo et celles pour le Musée de l’Œuvre de la cathédrale de Pise. Goppion a encore fabriqué des vitrines pour le Musée ethnologique du Vatican, la vitrine de la Joconde au Louvre et celle renfermant la combinaison spatiale du premier homme ayant marché sur la lune au Musée de l’air et de l’espace de Washington.
Le troisième espace, qui dispose, lui, de cinq grandes vitrines et d’une vaste cimaise, a pour vocation d’être renouvelé plus régulièrement que les autres (deux fois par an). On y admire actuellement une sélection très choisie d’objets islamiques, chefs-d’œuvre dont les plus anciens datent du califat omeyyade et les plus récents de l’Empire moghol. Ici des feuilles de corans parmi les premiers calligraphiés ou les plus virtuoses. Là, des éléments de vaisselleries d’apparat, des textiles ou des enluminures profanes, tous à motifs figuratifs.
Pour 2022, dans le cadre d’une saison France/Portugal, Amin Jaffer annonce en lieu et place une exposition de trésors conservés par la fondation lisboète Calouste Gulbenkian.
Quatrième espace, la visite se boucle par une longue galerie, celle-là à vitrine murale unique, légèrement ondulante et d’une tonalité plus claire, argentée. Elle est agencée en fonction des matériaux des objets d’art précieux qu’elle donne à voir. Et se veut une synthèse des trésors constitués jadis par les plus puissants empires: rhyton sassanide or et argent, plaque en or du Tibet, jades mayas… Soit un incroyable concentré du génie humain déployé en éventail.