Il y a un an jour pour jour, une explosion avait lieu dans le port de Beyrouth, faisant d’importants dégâts humains et matériels, et mutilant gravement le patrimoine libanais. Des musées et des bâtiments historiques, entre autres, ont été touchés. Depuis, la ville se reconstruit peu à peu grâce à une mobilisation citoyenne et internationale. Il est temps de dresser un premier bilan.
Nettoyage des bris de verre au Musée national de Beyrouth. © Julien Chanteau/musée du Louvre
Le 4 août 2020, une double explosion dont l’origine reste à déterminer touchait le port de Beyrouth (Liban). Les dégâts infligés au patrimoine sont colossaux : 640 bâtiments historiques ont été endommagés, dont 60 de manière critique. Les collections et infrastructures de plusieurs musées ont également été détériorées. Dans le but de sauver ce qui peut l’être, de multiples programmes de réhabilitation ont été mis en place cette année grâce aux efforts conjoints de l’Unesco, de la Direction Générale des Antiquités (DGA) au Liban, et de plusieurs donateurs, parmi lesquels la fondation Alliance Internationale pour la protection du Patrimoine dans les zones de conflits (ALIPH) et les gouvernements français et italien. Des collectifs d’initiative locale ont également émergé. Tour d’horizon des rénovations et point sur la situation.
Des trésors d’architecture sortent peu à peu la tête de l’eau
Au sein de la zone sinistrée, la situation était particulièrement critique d’un point de vue architectural. Sarkis Khoury, directeur de la DGA, a confié à l’Unesco : « le jour de l’explosion, c’est comme si une véritable bombe nucléaire avait explosé au cœur de la ville. Tous les bâtiments que nous essayons de préserver depuis 20 ans n’étaient plus là ! ». Diverses maisons traditionnelles, palais classés et bâtiment historiques avaient été touchés. Le palais Sursock notamment, joyau dans le style traditionnel libanais construit au milieu du XIXe siècle et aujourd’hui converti en musée d’art contemporain, a été très endommagé (toitures éventrées, vitres pulvérisées, plafonds effondrés…). Il nécessite encore d’importants travaux, mais commence à sortir la tête de l’eau ; un dépoussiérage en profondeur du bâtiment, des œuvres et des archives a été effectué, et des vitraux ont récemment été réinstallés en façade.
Le musée Sursock de Beyrouth. Comme on peut le voir, l’ensemble de ses vitraux ont été détruits lors de l’explosion du 4 août © Rowina BouHarb
Des dizaines de vitraux d’autres monuments sont également en cours de restauration dans les ateliers de maîtres verriers de la ville. L’une d’entre eux, Maya Husseini, a repoussé son départ à la retraite et confie à La Croix : « je ne peux pas ne pas essayer de restaurer ce qui est parti ». Parmi les restaurations dont elle a la charge se trouvent, par exemple, les fenêtres d’une église du XIXe siècle, qu’elle avait déjà restaurées après la guerre civile de 1975-1990. Face à l’ampleur de la tâche, elle manque cependant de temps : « pour certaines demandes, je ne pourrai rien faire avant au moins deux ans ».
Des œuvres d’art restaurées… voire redécouvertes
57 toiles conservées au palais Sursock ont été abîmées. Parmi elles, une majorité a été sauvée sur place, dans l’atelier du musée, qui est le mieux équipé du pays. D’autres seront restaurées à Paris par le Centre Pompidou dans les prochains mois. Dans ce même musée, plusieurs œuvres sur papier ont été détériorées ; grâce à la fondation ALIPH, Caroline Gelot, conservateur-restaurateur spécialisée en arts graphiques et livres et diplômée de l’Institut national du Patrimoine (INP), a pu se rendre sur place et restaurer une dizaine de documents.
Des coupes de verre antiques habituellement conservées au Musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth, complètement brisées par le souffle de l’explosion, sont également en cours de restauration. Grâce au soutien de la European Fine Art Foundation (TEFAF), elles sont aujourd’hui entre les mains expertes des restaurateurs du British Museum, à Londres (Angleterre), qui s’attellent à un travail d’orfèvre : recoller les centaines de fragments de ces fragiles trésors.
Restauration d’un des objets. © Courtesy of the AUB Office of Communications and Archaeological Museum
Au milieu de toutes ces destructions, cependant, une jolie redécouverte a été faite au palais Sursock : deux tableaux que l’historien de l’art Gregory Buchakjian attribue à l’artiste Artemisia Gentileschi se sont retrouvés sous le feu des projecteurs à la suite de l’explosion. Retrouvés dans les décombres, les deux œuvres ont attisé la curiosité des scientifiques. Aujourd’hui, une des peintures est exposée en Italie au Palazzo Reale de Milan, dans son exposition « Le signore dell’arte. Storie di donne tra ‘500 e ‘600 » qui traite des femmes peintres de la Renaissance.
Artemisia Gentileschi, attribué à, Madeleine pénitente, vers 1640, après avoir été extrait des décombres. ©Gregory Buchakjian
Le Musée national de Beyrouth rouvre ses portes
Parmi les sinistrés, le Musée national de Beyrouth bénéficie d’une mince consolation : l’essentiel de ses collections a été miraculeusement épargné par la catastrophe. L’infrastructure du bâtiment, néanmoins, a nécessité d’importants travaux : réparation des portes, fenêtres, ascenseurs, du système de surveillance et de sécurité. Le système de climatisation et de ventilation est le prochain sur la liste. Après cette phase d’intervention effectuée en urgence sous l’égide de la Direction Générale des Antiquités et du musée du Louvre, l’institution a pu partiellement rouvrir à la mi-juillet, s’offrant à nouveau aux touristes.
Le Musée national de Beyrouth. © Julien Chanteau/musée du Louvre
Une solidarité citoyenne et internationale
De nombreuses initiatives citoyennes ont émergé immédiatement après le drame, à l’image du collectif Beirut Heritage Initiative, qui s’est donné pour mission de coordonner les différents acteurs des travaux (initiatives locales de voisinage, municipalité de Beyrouth, donateurs, ONG diverses, Direction Générale des Antiquités…). Il est organisé autour d’une équipe d’experts et de professionnels aux compétences complémentaires, comme l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth, l’association du barreau de Beyrouth, et plusieurs ONG spécialistes du patrimoine culturel. Ses projets incluent entre autres la restauration complète d’immeubles historiques, la consolidation structurelle du Sursock Palace, et des travaux d’urgence pour des maisons anciennes.
Un élan de solidarité international s’est également déployé pour soutenir les différents projets. Le ministère français de la Culture a offert une aide de 500 000 euros pour la restauration du palais Sursock. L’ALIPH et le gouvernement italien (via l’Unesco) ont également fait d’importantes donations.
Le gouvernement libanais aux abonnés absents
Le grand absent des rénovations reste le gouvernement libanais : et pour cause, plus personne n’occupe réellement cette place depuis la démission du premier ministre Hassan Diab le 10 août 2020. Depuis ce jour, les premiers ministres s’enchaînent et échouent les uns après les autres à former un nouveau gouvernement dans cet environnement politique instable. On attend une annonce prochaine de la part du nouveau premier ministre Nijab Mikati, en attente d’investiture depuis sa désignation le 26 juillet par le président Haoun. Pour rappel, des soulèvements populaires avaient poussé vers la sortie en janvier 2020 Saad Hariri, président du Conseil des ministres de 2009 à 2011, puis de 2016 à 2020. Rappelons également que l’explosion du 4 août, doublée de cette instabilité politique, a plongé le pays dans une crise économique majeure qui rend toujours plus ardue la reconstruction de la ville.