Le Grand Palais propose jusqu'au 18 janvier 2015, une présentation évolutive sur celui qui est considéré comme le plus grand artiste japonais : Hokusai, peintre, dessinateur, graveur. Découverte d'un artiste prodigieux et prolixe, inventeur des Manga. L'exposition présente des oeuvres exceptionnelles dont une partie ne devrait plus quitter le Japon, à partir du printemps 2015, date de l'ouverture de l'Institut Hokusai à Tokyo.
Hokusai : Vent du sud, ciel clair. Série : Trente-six vues du mont Fuji. Estampe, 26,1 cm x 38,1. The British Museum, Londres dist. Rmn-Grand Palais / The Trus-tees of the British Museum.
Passer du brouhaha des Champs Elysées à l'ambiance sobre, feutrée, subtile de l'exposition Hokusai est un sacré changement. Alors que les japonais boudaient encore cet artiste (cela a bien changé), ce sont des français qui ont joué un rôle très important dans la reconnaissance et la célébrité d'Hokusai : Edmond Goncourt, Felix Bracquemond. Il faut dire qu'un traité d'amitié et de commerce entre la France et le Japon, en 1858, ouvre la voie. La découverte d'Hokusai engendre en France la mode du japonisme. Hokusai devient une référence et une source d'études pour de nombreux artistes français : Van Gogh, Claude Monet, Emile Gallé etc. Dans un petit livre à la maquette très originale (Editions Gallimard / Rmn-Grand Palais), la conservatrice Laure Dalon précise : "La découverte de l'art japonais constitua un choc profond pour les Français. De tous les noms alors cités comme emblématiques de cette fascinante culture émergeait celui de Hokusai, admiré pour ses estampes et ses livres illustrés". A cette époque en France, les motifs japonisants se multiplient donc sur les vases, les assiettes, les vêtements et les oeuvres d'art. Dans cette estampe ci dessous, Hokusai présente une célèbre courtisane, Oiran, accompagnée de ces deux suivantes. Le texte poétique au dessus évoque un parallèle entre la fragilité des fleurs et la grande beauté de ces femmes. La composition est très dynamique, j'ai l'impression d'une image arrêtée.
Une oïran et ses deux shinzo admirant les cerisiers en fleur à Nakanocho. Estampe, 1793 - 1797. 47,8 cm x 65. Rmn-Grand Palais (musée Guimet, Paris / Thierry Ollivier.
J'arrive dans la deuxième salle de l'exposition et je comprends tout de suite qu'écrire sur Hokusai n'est pas chose facile, car durant sa longue vie, il a souvent changé de noms, de styles, de techniques, de signatures. L’étudier est donc un petit jeu de piste. L’exposition du Grand Palais sera évolutive : vu l'extrême fragilité des œuvres et la méfiance des prêteurs, beaucoup d'estampes seront remplacées par des estampes équivalentes. Cette présentation aura donc deux volets et 10 jours de relâche entre le 21 et le 30 novembre 2014, histoire d'opérer la rotation.
Le théâtre et les jolies femmes
Hokusai naît à Edo, ancien nom de Tokyo, en 1760, sous le nom de Tokitaro. On ne sait rien de sa famille. Il a probablement était adopté par un miroitier. Dès l'âge de quinze ans, il commence à graver des planches pour la fabrication d'estampes. A cet âge, il travaille dans l'atelier d'un peintre, célèbre pour ses portraits d'acteurs (Katsukawa Shunsho). Hokusai réalise déjà des estampes à bas prix de jolies femmes, de guerriers. Il illustre des livres imprimés, mais surtout : il apprend, il se forme, il observe, il progresse et ... Il change déjà plusieurs fois de signatures. Entre 1778 et 1794, il signe Shunro. Après, il opte, après Shunro, pour Sori. Souvent, il change de signature quand il opère une métamorphose stylistique. Sous le nom de Sori, il réalise des calendriers illustrés et des surimono, autrement dit : des estampes luxueuses pour particulier, pouvant servir de cartes de vœux. Il travaille aussi sur de nombreuses peintures. Elles sont très rarement exposées, proviennent de collections japonaises et constituent le clou de cette exposition... J'observe deux rouleaux peints représentant des femmes entre elles. Je remarque immédiatement la finesse du trait, les mouvements des corps, les visages allongés, et ce trait rouge qui rehausse le tout et assure une ligne quasi continue sur tout le rouleau (Kakémono). tout cela est spécifique du style Hokusai.
La deuxième partie est tout aussi gracieuse que la première, avec un très joli jeu de gris et une composition originale toute en diagonale.
Hokusai : Tableau de moeurs féminines du temps, 2. 107 cm x 52,7. Katsushika Hokusai Museum of Art;
Encre de Chine et apports occidentaux
De 1805 à 1810, il signe Hokusai (le fou de peinture), puis Katsushika Hokusai. Fidèle à sa ligne artistique, il évolue. Il œuvre à l'illustration de livre de lectures (yomihon). Ces ouvrages, racontant des histoires fantastiques ou épiques, sont très à la mode à Edo. Cela permet à Hokusai de faire la démonstration évidente de son invention et de sa haute technicité, avec des nuances très subtiles d'encre de Chine. L’artiste est tellement bon dans ce domaine qu'il revalorise ce genre illustratif. Il se passionne aussi pour la perspective, venue de l'occident. Son trait devient de plus en plus sensible et sensuel. Dans certaines estampes, il n'hésite pas à s'amuser. Ce coq a fière allure avec son bec relevé et les feuilles au premier plan ne doivent leur existence, qu'à une succession sensible et subtile d'encre de Chine. Cela montre aussi l'extraordinaire talent d'observateur de ce créateur.
Hokusai : Album de peintures, vers 1808 -1809. Victoria and Albert Museum, Londres.
Et puis...il évolue encore.
Transmissions
A partir de 1810, Hokusai se consacre à un genre nouveau : des manuels de peinture. Il est courtisé, admiré, sollicité, alors il décide de mettre au point des carnets destinés aux jeunes artistes. Ce sont les "Hokusai Manga" (dessins variés). Ils sont publiés à partir de 1814. Ce sont plus de 3900 dessins très différents, répartis en quinze volumes. Ils sont très célèbres. Ils illustrent les mœurs, les combats, la nature, les légendes et même le monde des religions. Les experts sont sûrs aujourd'hui que Hokusai est bien l'inventeur du terme manga (croquis sur le vif). Cette double page avec une multitude de petits personnages est très intéressante. Le bas de la page de droite démontre aussi l'humour dont est capable Hokusai.
Hokusai : Hokusai Manga, carnet de croquis divers. 1814. Japon, collection particulière. DR.
Fidèle à lui-même, le dessinateur japonais poursuit son envie de transmettre mais il...évolue à nouveau.
Un peintre observateur de la nature et des hommes
L'artiste a plus de 50 ans. Il réalise alors, sous le nom de Taito, des manuels de peinture.Ces livres prouvent son souci de faire connaître son art à travers tout le pays. "Hokusai-Taito" peint, avec une extrême minutie. Il réalise également des vue aériennes de sites célèbres et donne ainsi aux japonais l'envie de voyager dans leur propre pays. Une nouvelle évolution intervient en 1820. Sous le nom de Itsu, nom utilisé de1820 à 1834, il réalise ses œuvres les plus connues. Le monde entier connaît sa grande vague, elle influence encore nombre d'artistes, de graphistes, et de dessinateurs de BD. Courbet et Camille Claudel s'en inspirèrent aussi. La vague principale est immense et symbolise la force de la nature face aux hommes, minuscules dans les bateaux. L 'écume des vagues est réprésentée comme des petits crochets, dramatisant encore plus la scène. Dans sa compossition, son dessin, ses couleurs, cette oeuvre est d'une très grande originalité pour son époque.
Hokusai : Dans le creux d'une vague au large de Kanagawa. Série : trente six vues du Mont Fuji. Vers 1830 - 1834, 25,6 cm x 3è,2. Musées royaux d'Art et d'Histoire, Bruxelles.
Vers 1830, Hokusai se passionne pour le "monde flottant (Ukiyo-e). Il dessine alors la célèbre série des "Trente-six vues du Mont Fuji". Pour certaines, comme ci dessus, il utilise le bleu de Prusse, de meilleure qualité que l'indigo nippon de l'époque. Le succès est immédiat. Il œuvre aussi sur des illustrations de cascades, dans lesquelles il souligne à grands traits la verticalité. Il produit aussi des estampes de fleurs ou d'animaux qui connaissent un grand succès en Europe. Ces hortensias surmontés d'une hirondelle en sont un exemple. L'oiseau semble se diriger tout droit vers l'observateur.
Hokusai : Hortensias et hirondelles. Estampe, vers 1830 - 1834. 24,7 cm x 36,6.Rmn-Grand Palais ( musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier.
Cette fois ci, plus aucune hésitation n'est permise : Hokusai est non seulement un dessinateur hors pair, mais aussi, et peut-être surtout, un immense peintre. C'est pourtant une période sombre pour lui : sa femme et une de ses filles meurent. Est-ce pour cela ? Mais ce grand artiste va, une fois de plus, changer de nom...
A la recherche de l'absolu artistique
De 1834 à 1849, date de sa mort à l'âge de 89 ans, il prend le nom de Gakyo Rojin Manji (Manji, le Vieil Homme fou de peinture). Cela prouve bien son souci de souligner l'importance de la peinture dans son œuvre tentaculaire. Il écrit "vouloir vivre plus de cent dix années afin de parvenir à son plein accomplissement artistique". Cet homme là ne vit que pour son art. Il travaille sans cesse. Il peint désormais des monstres, des spectres, des fantômes, des dragons. Quelle tête extraordinaire a ce dragon et une fois de plus quelle étonnante composition avec la patte en haut et la queue en bas de la composition, qui guident le regard du visiteur vers l'expression du regard de la bête. Et ce regard n'est-il pas aussi celui d'un vieillard qui se dirige vers la mort...
Hokusai : Dragon dans les nuées, kakémono. 102,5 cm x 42, 5. Musée Guimet, Paris, dist. Rmn-Grand Palais / Thierry Ollivier.
Il prend ses distances avec le monde de l'estampe et sa consacre de plus en plus à la peinture. Cette tête de spectre n'est-elle pas la preuve qu' Hokusai est le père de tous les dessinateurs de mangas. Elle m'évoque le travail des streets artistes d'aujourdhui, Seth par exemple. Plus moderne, tu meurs...
Hokusai : Spectre d'Oiwa-san. Série : Cent contes de fantômes. Vers 1831 - 1832. Estampe, 24,8 cm x 18,2. Katsushika Hokusai Museum of Art.
La très prolixe vie artistique d'Hokusai pourrait se résumer à six grandes périodes. Elles témoignent toutes de son intelligence, de sa faculté à capter l'âme humaine, mais aussi celle de la nature. Elles prouvent son ambition d'arriver au trait simple, juste. Il travaille près de 90 ans à cet objectif. Mais, à mon avis, le plus frappant chez Hokusai, est son inventivité, son originalité.
Une exposition aussi complète sur Hokusai est rare. En quelques traits, ce génie artistique, réussit à faire vivre et à décrire le caractère d'un homme ou d'un animal, et même d'un nuage ou d'une fleur. A travers son art, Hokusai construit un pont entre art traditionnel japonais et art occidental. Cette exposition est à conseiller à tout étudiant des Beaux Arts et à tout Street Artiste. 320 œuvres à découvrir (528 pour les deux volets de l'exposition). chaque dessin, chaque peinture exposée est un chef d'œuvre et une montagne de sensibilité. Tout cela est présenté dans une scénographie qui met vraiment en valeur les oeuvres et dans un éclairage exceptionnel de leds à très haute performance. Ne ratez pas le petit film expliquant comment se fait une estampe avec de l'eau et un tampon en bambou. Attention, comme il faut beaucoup se rapprocher des œuvres pour en saisir tout le génie et admirer les détails, évitez les heures de grande fréquentation. En ce qui me concerne, après cette visite, j'ai l'impression de beaucoup mieux connaître la culture japonaise car Hokusai est le parfait illustrateur de l'âme du Japon. cette exposition est un événement.
Grand Palais.